[CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

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Cryoban
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Cryoban »

@John Melmoth Avec plaisir! Je pense que tu ne regretteras pas cette plongée dans l'Horrifique.
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John Melmoth
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par John Melmoth »

Cryoban a écrit : sam. oct. 28, 2023 6:06 pm @John Melmoth Avec plaisir! Je pense que tu ne regretteras pas cette plongée dans l'Horrifique.

Et bien, j'ai finalement acheté Horrifique et je ne saurais trop te remercier pour la découverte. Énorme coup de coeur.

Après quelques tests en solo, mise en place, une première scène, pour assimiler le système, j'ai parlé de mon acquisition à l'un de mes vieux camarades de route rôlistique - et voilà, on a joué à Horrifique avec les copains dimanche soir.

Tout le monde a adoré l'expérience et on est impatient de jouer la suite.

Moi qui espérait le réserver pour mon propre plaisir, je me sens refait ;)
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Cryoban
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Cryoban »

John Melmoth a écrit : mar. nov. 21, 2023 6:45 am Moi qui espérait le réserver pour mon propre plaisir, je me sens refait

Ah bah, c'est ce qui est bien avec les plaisirs coupables...c'est que l'un n'empêche pas l'autre :lol:
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[CR][HORRIFIQUE][SOLO] Une Confiance Aveugle...

Message par rogre »

Un autre CR de partie en solo, durée 1 heure, et en partant de rien!: je ne reproduis pas les étapes du jeu, sauf les scènes - et d'avance m'excuse, je ne suis pas écrivain :mrgreen: , mais je constate que le jeu est un fort bon générateur d'histoires! Je reprends mes notes dictées au fur et à mesure - donc sans la mécanique, les lancers de dés, mais c'est facile à reconstituer - et ça donne cela:

Titre: UNE CONFIANCE AVEUGLE...:

Prologue : Une force inhumaine est à l’œuvre : nous sommes le 14 avril 1921, et je SAIS qu'au sein d’une Vallée dissimulée, dans les Collines Hurlantes, se trament d’étranges choses : les rumeurs racontent que tous ceux qui entrent dans cette Vallée impie en ressortent aveugles, sourds et muets. Et pourtant, il bien falloir que je descende dans ce canyon abhorré du désert syrien…. Si je ne le fais pas, le Sombre Souffle va se répandre sur le monde :  et cette occultation des sens sera un prélude à un plongeon de la Terre entière dans l’obscurité. Après un long parcours à dos de chameau, je suis maintenant face à la pire décision de mon existence. Quand j’ai déchiffré au musée du Caire les gribouillis laissés par le professeur Schwartz, j’ai compris comment trouver la vallée dissimulée.  Ce petit village de bédouins est la dernière étape avant ma descente dans la Vallée : peut-être le professeur est-il déjà passé par là, avant sa disparition?
Mais qui suis-je pour espérer ainsi sauver le monde de l’obscurité et de la folie ? Rien n'y prédisposait Wright Davenport, d'une famille patricienne honorable issue de l’industrie anglaise. J'ai consacré tous mes loisirs à voyager autour de la Méditerranée, de site ancien en site antique, sentant toujours en moi le vide d’une existence oisive, mais toujours dévoré du désir d’aider mon prochain. N’y parvenant pas, j’abusai des hypnotiques et des stupéfiants. Le professeur Schwarz m’a sorti de ce marasme, il m’a ouvert les portes de l’Histoire, mais aussi celle des visions : alimenté par le haschisch, il me faisait souvent venir sur les sites archéologiques pour que ma sensibilité extrême me permette de revivre les scènes du passé. Jusqu’au jour où je me suis trouvé face, non pas à une vision colorée et ornementée de l’Antiquité comme souvent, mais à un Vide absolu, silencieux, muet – et pourtant obscurément présent, comme en attente. J’en ai parlé au professeur, qui s’est alors lancé dans des recherches, et qui m’a intimé l’ordre de le laisser faire. Mais maintenant les visions sombres me hantent : je n’arrive plus à les repousser, et le professeur a disparu.
J’aurais pu prévoir le destin qui me conduit jusqu’ici, quand le professeur a changé de comportement avec moi, il n’était plus le même : j’avais alors l’impression que ses yeux s’emplissaient de colère et de noirceur. Désormais, je suis sur ses traces. J’ai dépensé une bonne part de ma fortune pour acquérir de puissants projecteurs par lesquels j’espère percer les ténèbres de la Vallée Perdue. Mon fidèle Abdul accompagne, il poussera le chariot sur lequel se trouve le projecteur : j’ai l’intention de lui boucher les oreilles et les yeux, et d’affronter moi-même, en pleine conscience, ce qui m’attend, quoi que ce soit.

 
Scène 1: Les habitants du village de Dar el Jaffra ressemblent à ces populations du désert, typiquement fatalistes. Je vais parler avec eux, et  leur demander s’ils ont vu passer le professeur, et ce qu’ils craignent de la Vallée Noire : quels sentiments dissimulent-il ? En fait, ils ont l'air totalement indifférents à tout. Mon impression est de plus en plus tendue, au milieu de ce désert d'où la végétation est totalement absente. Je me demande même de quoi vivent ces villageois, privés de ressources. Je vais essayer de convaincre certains de m’accompagner : mais étrangement, quand je leur en parle,  leurs yeux sont étrangement fixes ! Est-ce que par hasard ils seraient dangereux ? Impossible de le dire, mais je pense que je ne peux pas avoir confiance en eux. C’est pourquoi je vais partir dès demain, discrètement, avec Abdul.
Cette nuit, pendant que mon fidèle serviteur veille, je fais un rêve : le professeur m’apparaît; mais ses yeux sont noirs, il gesticule, sur fond noir, sa bouche bouge, mais je n’entends pas ce qu’il veut me dire - sans doute un avertissement? Je me réveille tourmenté : voulait-il me dire de venir à son aide, ou au contraire de fuir? Je n’ai plus le choix, car je suis persuadé que le monde a besoin de SAVOIR…
 
Scène 2 : Je suis parti avec mon serviteur, deux chameaux attelés, et la charrette couverte des réflecteurs; et dès l’aube nous traversons l' espace désert qui conduit à la vallée: les crissements des criquets du désert autour, de toute part, sont assourdissants - je comprends pourquoi on surnomme ce lieu les Collines Hurlantes. La route est interminable, je cherche les indices du chemin à suivre, j’ai moi-même l’impression d’être suivi… Je dois donc me passer du repos de midi, pour arriver à la Vallée vers le soir...
Quelques heures plus tard, je me sens étrangement calme, alors que je ne le devrais pas : devant moi, s’ouvre une vallée, qui au premier regard n’a strictement rien d’inquiétant : de la végétation, un petit cours d’eau (est-ce celui qui alimente le village ?). La nuit tombe d'un coup, complètement, mais je dispose mon puissant réflecteur : cependant, quand j’essaye de l’allumer, je constate qu’il crépite, et ne s’allume que par intermittence, il a été sans doute saboté ! : je deviens fébrile - nous sommes obligés avec Abdul de camper au bord de la vallée…
Alors que j’essaye de m’endormir, je me rappelle une conversation avec mon mentor, jadis : ce poème de Shelley qu’il me récitait, rappelant la disparition de toute chose… : j’ai l’impression que c’est le monde lui-même qui va disparaître, non seulement le monde occidental ou oriental, mais le monde entier...

 
Scène 3 : Je suis réveillé par une étrange odeur, humide, inquiétante et qui me fait lever d’un coup. Je comprends que je dois agir -  maintenant à côté de moi, les tubes de barbituriques sont vides. Dois-je descendre dans la vallée? Il faut y aller, je me risque... Mais à peine les premiers pas faits dans l’obscurité traversée simplement par le crépitement insuffisant de mon gros phare, je glisse parmi les cailloux : je me suis blessé, je ne pourrai pas remonter la pente… Mon fidèle serviteur tente de venir à mon aide, en faisant descendre le raidillon à nos animaux, mais semblablement, les parois effritées nous empêcheront tout moyen de remonter… Nous voici maintenant au fond de la Vallée et nous ne pouvons rien faire d’autre que de tenter de l’explorer. Du haut de du vallon, il est probable que les bédouins nous regardent – alors que nous découvrons des ruines éparses, laissant supposer qu’une ville antique se trouvait ici, mais qui s’est affaissée dans le désert: comment cela est-il possible? Soudain un profond silence se répand dans la Vallée, j’appelle le professeur, mais ma voix ne semble plus porter. J’essaye d’allumer le phare, mais il crépite une dernière fois, et s’éteint: la nuit noire règne...
 
Scène 4: Et soudain, le professeur Schwartz émerge des ténèbres!: « Je vous avais pourtant dit de ne pas venir ici : tout ce que nous faisons est désespéré, mais c'est dans cette obscurité que nous trouverons justement l’espoir ». Quelle étrange apparition, mais qui me rassure immédiatement : je ressens une infinie confiance pour le professeur. Il me dit de le suivre, intimant l’ordre à mon serviteur de rester sur place - pourtant une partie de moi trouve quelque chose d’anormal dans le comportement de Schwarz.. Pourquoi, quoi qu'il en dise, finalement, m'a t-fait venir ici? Je me retourne, je constate qu'Abdul et les chameaux ont complètement disparu dans l’obscurité: je ne le sais pas encore, mais je devine que je ne les reverrai plus jamais. "Par ici, mon fils", me dit le professeur, en indiquant un bâtiment presque en bon état…
 
Scène 5 : De manière inattendue, voici une très grande salle, et une couchette en bon état qui se trouve là, intacte dans les ruines. Le professeur me dit, solennellement: "Nous avons besoin de vous pour donner sens à la Ténèbre. J’ai été celui qui l'a découverte, vous êtes celui qui pourrait la rêver". Angoissé, je me retourne: "Mais professeur, mais quelle est la réponse, quel est le principe qui aveugle ceux qui visitent cette Vallée?" - le professeur se tourne vers moi, ses yeux sont entièrement noirs, et il me dit : "Pour le savoir, tu dois t'étendre"... Je veux SAVOIR - alors, contre toute raison, je m’étends sur la couche...
 
Scène 6 : Le voile d’obscurité de mes rêves se déplie, et laisse percevoir une vision majestueuse : un paysage oriental, et celui d’une ville superbe. Voici que s’approche de moi une haute figure de dignitaire – le professeur est à ses côtés, en tenue antique: « Tu viens recevoir ton héritage... ». Je ne comprends pas, ma lignée est anglaise… "Tu te trompes, tu es un citoyen d'Irham des Piliers, et seul toi peux la visiter, et garder ta vision". Mon esprit égaré essaye de trouver une explication rationnelle à tout cela - mais le professeur tout près de moi devient menaçant : "Accepte ton héritage, sans quoi tu deviendras un pauvre fou sans vision aucune!"
 
Epilogue: "C’était donc un guet-apens !", m’exclamè-je, alors mon esprit tentait de fuir cette Ville de Rêve et cette Vallée de Gloire, et  que mon corps s’efforçait d’échapper à la couchette. Mais, voici que le dignitaire devient une figure d’ombre, une forme d'indicible ténèbre et de silence vivant, qui se précipite sur moi, en moi - et voici que je perds la vue, l'ouïe, et le langage ! Je ne peux plus que tenter de m’enfuir, à tâtons, en hurlant silencieusement -  je ne vois plus rien, je suis perdu et désorienté, il n’y a plus autour de moi ni temps ni espace, je suis maintenant un errant dans la nuit noire…
Lorsque les villageois vigilants me récupèrent au matin, je suis sorti du Vallon, comme tant d’autres, en ayant perdu tous mes sens : il ne me reste plus qu'à vivre avec ces guetteurs aux portes du néant, avec les stupéfiants locaux qui bercent mon infirmité, et pour consolation le fatalisme : Wright Davenport a voulu sauver le monde, il a fait une confiance aveugle à ses maîtres, mais n'a pu les suivre jusqu'au bout - désormais il n'est plus qu'un témoin inutile, qui ne peut même transmettre à personne cette terrible vérité : tout retournera toujours à la grande Nuit.

Fin.



 
Dernière modification par rogre le dim. déc. 10, 2023 7:08 pm, modifié 1 fois.
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Erestor »

@rogre :yes: comme quoi le jeu fait bien ce qu'il propose : ça fait très lovecraftien !
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Cryoban »

Merci pour ce "conte horrible " fort sympathique! :yes:
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par rogre »

Allez, une autre petite "nouvelle" Horrifique ? Je rappelle que, normalement, je n'ai aucune capacité à inventer la moindre histoire, et je suis donc stupéfait du fait que… ça marche!. Je n'ai mis aucune des mentions techniques, mais on peut les deviner - et je constate aussi que, sans doute parce que ce sont des thèmes qui me tiennent à coeur, la "nouvelle" issue de ma partie de jeu solo n°2 brasse un peu les mêmes thèmes que celle issue de ma partie solo n°1. Je vais faire une 3ème partie, pour voir si je retombe inconsciemment toujours sur les mêmes obsessions! :runaway

Spoiler:
 
L’ÉCRIVAINE.
            Qu’arrive-t-il donc à Helen ? Ou plutôt que m’arrive-t-il, chaque fois que je la croise ? Une sorte de vertige, sans aucune raison, une aversion immense qui me submerge. Une impression de froid. Je n’aurais certainement pas dû lire ses textes : ils me révèlent une part d’elle-même que j’aurais préféré oublier. Depuis qu’elle écrit ce genre de récits, je pense qu’elle a tellement changé que quelque chose d’irréversible est en train de lui arriver. Nous partageons les bancs de l’université Cornell, avons suivi les mêmes cours d’écriture créative. Elle s’est avérée être la plus douée de notre petit groupe d’étudiants – au point qu’elle a suscité des jalousies, des rumeurs ont couru sur elle. Certains ont commencé à dire qu’elle les questionnait avec une telle intensité qu’ils ne pouvaient s’empêcher de lui révéler leurs secrets les plus intimes – et tous ces secrets se retrouvaient dans les nouvelles dont ensuite elle proposait la lecture devant la classe du Dr Wendy Gray : celle-ci était d'ailleurs visiblement fascinée par les dons de son élève. Quant à mes médiocres productions, elles paraissent totalement insignifiantes, au regard des méandres de psychologie abstraite, glaciale et effrayante dont Helen est capable. J’ai désormais l’occasion d’en savoir plus: le Dr Grey nous a donné rendez-vous dans la bibliothèque de l’université, bien après les heures de cours : je pense qu’elle veut tirer les choses au clair avec Helen, peut-être avec moi ? Pourtant je ne sais pas grand-chose – sinon que ma condisciple écrit souvent dans cette bibliothèque, notamment dans la petite salle de réserve, celle qui contient les livres les plus anciens.
            Me rendant au rendez-vous, traversant le campus désert et glacial, dont les lampadaires s’éteignent les uns après les autres, je me demande ce que veut le Dr Grey: elle redoute peut-être que la réputation de son cours et la justification même de son poste soient compromises, en cas de plagiat par exemple, ou de divulgation de vie privée – car les productions les plus remarquables du cours doivent être publiées par le journal universitaire en fin d’année… Qu’ai-je à faire avec cela ?: elle a dû remarquer ce lien de compréhension tacite qui m’a lié, que je le veuille ou pas, depuis longtemeps à l’étrange Hélène… J’ai d’ailleurs dans la poche une enveloppe contenant le manuscrit de sa dernière nouvelle, qu’elle m’a donné ce matin, comme cadeau confidentiel – que je n’ai pas encore eu l’occasion – ou le courage – d’ouvrir. La peur que je ressens est incompréhensible, à moins que je ne recule devant ma propre jalousie, d’écrivain raté à écrivaine exceptionnelle, une envie absolue.
            « Hey, bonsoir, Hugues… », dit une voix près de moi. Émergeant de l’obscurité, Wendy Gray, enveloppé dans son manteau d’hiver, son visage femme noire encadré de la coiffure afro qu’elle entretient comme un manifeste, se distingue à peine des ténèbres environnantes. « Vous êtes au rendez-vous, je vais ouvrir la bibliothèque - j’ai reçu un message de Mlle Atwood, disant qu’elle nous attendait – mais je ne comprends pas où. Que lui arrive-t-il, elle si exacte lorsqu’elle écrit, pour avoir ce caractère erratique, et, je vous le dis franchement, dangereux… ». Dangereux ? Jusqu’à quel point ? Je suis presque tenté de parler à Grey du texte qu’elle m’a donné – mais comme je n’ai pas eu le temps de le lire, je m’abstiens.
 
            Nous déambulons dans les couloirs obscurs qui nous font descendre au deuxième sous-sol de la bibliothèque sécurisée, réservé aux ouvrages anciens. Grey ouvre la porte, une grille, une seconde porte. Elle allume les lumières. Assis à une petite table, nous attendant dans l’obscurité, Helen, assise, des feuilles de papier devant elle -: elle est en train d’écrire… « Mlle Atwood, comment êtes-vous entrée ici ? » s’indigne la professeure – mais son ton est peu crédible. Je me dis que l’explication la plus logique est qu’elle s’est faite enfermer – mais la bibliothèque était fermée aujourd’hui. A-t-elle volé un double des clés ? Ou l’explication serait-elle tout à fait différente ? Que peut au juste savoir, ou pouvoir faire, Helen ? Tout ? Tandis que je me pose cette question, je ne soupçonne pas encore que de cette bibliothèque, je ne vais pas, de sitôt, pouvoir sortir…
 
            Helen lève vers nous son visage pâle : « Bonsoir Wendy, bonsoir Hugues… C’est amusant, professeur, j’étais précisément en train d’écrire sur vous » - « Qu’est-ce qui vous autorise !?… Je suis venu signaler que je ne veux plus de vous à mon cours, et j’ai tenu à le faire en présence d’un témoin. Sauf si vous expliquez la technique malsaine par laquelle vous entrez dans l’esprit des gens – tout comme vous avez apparemment pénétré dans cette bibliothèque. Ce n’est pas digne d’un vrai écrivain… » - « Wendy, dit Helen, vous avez beaucoup de choses à cacher, mais vous restez à la surface des choses ; vous êtes bien moins bien placée que Hugues pour juger de qui est un véritable écrivain ». Le teint de Mrs Grey vire au gris, tandis que j’observe la jeune femme: la main de Wendy tremble dans la poche de son manteau, et j’ai un pressentiment inquiétant. Il faut que j’interrompe cette situation tendue: je sens l’enveloppe de ma poche: « Attendez, vos accusations sont peut-être exagérées: Helen m’a donné cette nouvelle, et – l’enveloppe portant mon nom – je pense qu’elle y révèle peut-être des choses qui me concernent, en y jetant un coup d’œil, je pourrais vous dire ce qu’il y aurait ou pas d’outrancier… »: je vois quelque chose de presque triomphant et de cannibale dans le regard d’Helen, qui sourit. « Prends, et lis », dit-elle.
 
            En ouvrant l’enveloppe, je suis saisi d’une vague appréhension: que contient ce texte, y aurait-il là quelque chose de dangereux ou de compromettant, pour moi ou pour Grey? Je constate avec étonnement que tout en nous parlant, Helen continue à noter et à écrire, d’une écriture minuscule, comme si elle décrivait ce qui en train de se dérouler. Et je me rappelle soudain comment, il y a de cela deux ans, en première année universitaire, j’ai rencontré la jeune femme, déjà assez bizarre, mais sans aucun rapport avec l’étrangeté de son actuel regard noir et fixe. Notre conversation porta sur les coïncidences anormales, et sur la façon dont les lignes du temps parfois se superposent et s’inversent… « Ainsi on pourrait toujours tout connaître, pour peu que l’on soit déjà dans le futur », me disait Helen. « Mais alors, cela supposerait de n’être plus dans le présent ? » – « Non bien sûr, mais il suffirait de laisser derrière soi une image, un double, que les autres prendraient pour vous. Cela doit être possible, avec un peu de concentration » - « Mais ce double, cette image, comment persisterait-t-il ? Il lui faudrait bien quelque chose à quoi s’accrocher, s’alimenter, ne serait-ce que pour se maintenir comme simulacre ? » — « Il est certain que ce serait tout un travail de trouver un moyen de subsistance… », disait Hélène - qui déjà à cette époque avait presque complètement cessé de se nourrir normalement. Je crois que je commence à sentir quelque chose que j’essaye de repousser. Est-ce mon esprit d’artiste qui élabore cette fiction angoissée ? Soudain, le Docteur Grey sort de sa poche un revolver…
 
            Helen sourit, sans cesser de continuer à écrire. « Arrêtez, Hugues, - dit Wendy - nous n’avons pas besoin de cela pour savoir que ce qu’elle fait, tout ce qu’elle écrit, ce qu’elle nous prend – cela devrait être interdit ». Que faire? Je parcours des yeux la bibliothèque, avec l’espoir de me mettre à l’abri, de quitter ce huis-clos étouffant. Je me tourne vers la porte, mais je constate qu’elle est absolument close et fermée, comme scellée, et il fait soudain très froid ! Et sans prévenir, Gray tire, et me blesse au bras gauche ! « Docteur, vous êtes folle ! » - « Non, je lui donne ce qu’elle veut, du sang humain ; Helen, c’est bien ce que tu as demandé ? ». Helen sourit faiblement, et je perçois en elle, non plus une frêle jeune femme, que j’aurais pu aimer, mais les linéaments spectraux d’une vermine parasite, qui se nourrit de la vie, de la chaleur, des esprits des êtres !
 
            Mais alors que je soutiens mon bras blessé, et que le sang coule sur le sol, la scène soudain, tourne différemment: c’est la silhouette du Dr Gray qui devient floue, alors que l’incrédulité se lit sur son visage, et qu’Helen dit d’une voix douce : « Désolé, Wendy, mais comme je sais tout de vous, que tout a été écrit, vous appartenez tellement à mon passé… Tandis que j’écris depuis un futur où vous n’existez pas… » Helen déchire une page du texte qu’elle écrivait si soigneusement, les lumières vacillent, et quand elles se rallument, Grey a disparu !
 
            Je suis seul face à celle qui plus que jamais semble une simple image, aux yeux fixes et noirs : « Voilà le pouvoir de l’écrivain, dit-elle, faire vivre ou cesser de faire exister, réecrire la réalité – mais pour cela il faut s’absenter de soi, avoir toujours un temps d’avance, ou de retard, Hughes. Toi, tu es juste à l’heure, tu es mon ami, et nous pourrions écrire ensemble – mais pour cela il faut que tu saches lire en toi et en moi ». Je comprends qu’il me faut lire maintenant ! Je ne peux m’empêcher de parcourir une dernière fois la pièce des yeux, les feuilles du texte d’Helen à la main – et voici qu’entre les rayonnages, j’entrevois un miroitement sombre, une sorte de porte dans l’espace ou le temps, par laquelle, peut-être, cette image d’Helen est entrée, et peut-être la seule sortie ? « Lis, dit Helen, sans quoi tu ne pourras me rejoindre… ». Tout devient noir alors que je lis – et pourtant je peux lire…
 
            Je comprends très vite, trop vite – car le temps se dilate, est modifié. Helen se lève de la table, s’approche de moi, alors que, mon esprit courant sur et entre les lignes, je vois s’y déployer tout mon passé… « …Et le seul futur qui te reste, celui de me rejoindre où je suis, hors du temps, où nous jouirons de la connaissance parfaite de tous les esprits, laissant derrière nous nos images qui se nourriront de leur chaleur, transformant toute vie humaine en de merveilleux textes bien à nous. Viens, Hughes. ». Mon sang versé reflue dans mon bras, je vois ouverte cette porte vers un espace hors du temps et de l’espace, où Helen, bien plus que vivante, m’attend, un livre à la main. Je fais un pas en avant, Helen est devant moi et derrière moi.
 
            Et soudain, je comprends le sens de ce qu’elle dit, et la faille de sa séduction : je peux choisir de sortir de cette attirance de la totalité, et éteindre l’appel anormal du hors-temps ! D’un bond de côté, je me rue sur une étagère de livres anciens, et heurte volontairement mon front sur le rayonnage. Mon intention est de tout ramener au présent de mon corps, fût-ce en le détruisant. Helen une dernière fois m’implore: « Hughes, mais, tu ne pourras plus écrire… ». Je perds conscience.

Quand la police me retrouva dans la bibliothèque close, et qu’elle me questionna longuement sur les disparitions de Helen et Wendy, je ne pus que prétendre que je savais que les deux femmes étaient parties ensemble. Mais les feuilles de papier retrouvées, couvertes de l’écriture de Helen – et de moi – m’accusaient suffisamment… Désormais, à la bibliothèque a succédé une cellule austère, sans livres – mais on me donne suffisamment de feuilles de papier et de crayons pour que je puisse raconter mon étrange histoire d’amour avec Helen, la parfaite écrivaine. J’espère que personne ne la lira.
 
Fin.
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Cryoban »

rogre a écrit : sam. déc. 16, 2023 2:58 pm je n'ai aucune capacité à inventer la moindre histoire, et je suis donc stupéfait du fait que… ça marche!

Eh oui...beaucoup s'imagine ça, mais avec les bons outils ca fonctionne souvent. :yes:
Pat contre effectivement l'étape suivante une fois que t'es à l'aise avec l'improvisation de la narration c'est arrivé à sortir de tes thèmes de prédilections et tes biais. Pour cela les augures comme Muses et Oracles sont vraiment utiles pour pousser l'imagination vers d'autres ailleurs
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par rogre »

Ça tombe bien, j'ai aussi "Muses & Oracles"! :yes:

En passant, juste une ou deux questions de technique, si vous avez l'occasion de répondre : le seul point sur lequel j'ai un peu de difficulté, c'est la gestion des Points d'Angoisse par Obscurité (sachant que je n'ai joué que solo).
Au début Obscurité commence avec 1PA (pris sur le total suggéré, soit 4/PJ + 3, ou en plus?). Mais je me suis demandé aussi plusieurs choses:
• est-ce que Obscurité peut choisir d'imposer une prise de PA à un PJ (ou est-ce que le choix leur est toujours laissé)?
• est-ce qu'une action d'Obscurité ne coûte bien que 0PA? I.e.: on peut en faire une quand c'est indiqué par le résultat d'une carte, et/ou "quand une action de PJ y invite"? Et des PA ne sont donc dépensés que si on veut faire une action d'Obscurité "n'importe quand" (je ne saisis pas trop la nuance avec "quand une action de PJ"…) ou pour augmenter la "gravité" de l'action (ou mettre fin à la scène en cours)?
• est-ce que contraindre à "Contenir son Effroi" (hors 4PA ou Dé d'Angoisse) compte aussi (et est possible) comme une action d'Obscurité? (en pareil cas, ce qui est plus haut s'applique?)
• enfin, quand un PJ atteint 4PA, il doit "Contenir son Effroi", soit - mais que se passe-t-il s'il prend d'autres PA? La même chose?

:??:
 
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par Cryoban »

rogre a écrit : dim. déc. 17, 2023 5:29 pm est-ce que Obscurité peut choisir d'imposer une prise de PA à un PJ (ou est-ce que le choix leur est toujours laissé)?

J'ai pas le livre sous la main, donc on me corrigera peut-être. Les PA tel que je le comprend sont gérés par les PJ car ca reflète l'émotion qu'ils ont envie de ressentir sur le moment, moyennant une contrepartie en roleplay ou en narratif. Le MJ peut aussi proposer des points d'angoisse à l'issu de certains de ses moves si les PJ ne pensent pas à les réclamer et/ou qu'il estiment que le ou les PJ méritent d'être récompensé . Mais je ne pensent pas qu'il puissent les imposer aux PJ, ce sont leurs émotions donc c'est dans les mains des joueurs et joueuses.

rogre a écrit : dim. déc. 17, 2023 5:29 pm est-ce qu'une action d'Obscurité ne coûte bien que 0PA?
Oui. "N'importe quand" c'est quand tu veux reprendre la main sur la narration parce que tu estimes que c'est le bon moment pour le faire en dehors de toutes utilisation de move par les PJ. En solo on utilise souvent les actions parce que ca permet de créer des rebondissements, mais quand tu joues à plusieurs il y'a plus de phases ou personne n'utilise d'action.

rogre a écrit : dim. déc. 17, 2023 5:29 pm est-ce que contraindre à "Contenir son Effroi" (hors 4PA ou Dé d'Angoisse) compte aussi (et est possible) comme une action d'Obscurité?

Pour moi ce n'est pas vraiment une action de l'Obscurité car son déclenchement n'est que mécanique et obligatoire qui est directement lié à l'état d'angoisse du perso ou à la confrontation à un truc inommable, bref c'est un jet de SAN.

rogre a écrit : dim. déc. 17, 2023 5:29 pm enfin, quand un PJ atteint 4PA, il doit "Contenir son Effroi", soit - mais que se passe-t-il s'il prend d'autres PA? La même chose?

Tu ne peux pas dépasser 4, donc il ne peut pas en prendre plus. Après selon la situation de jeu, je pense qu'on peut recourir systématiquement à l'action "Contenir son effroi" tant que le PJ a 4 PA alors que normalement il pourrait en réclamer d'autres. Il est probable qu'il ne tienne pas le coup très longtemps
Cthulhu Invictus: Limes Obscurus. Certaines forêts sont plus sombres que d'autres
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Un cadavre encombrant Un prologue alternatif à La Ville en Jaune
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rogre
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Re: [CR][HORRIFIQUE][SOLO] L'abominable portrait

Message par rogre »

Merci beaucoup pour toutes ces bonnes suggestions! :yes:
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