[CR] D&D 5E — Rime of the Frostmaiden

[BenjaminP]

Ce qui me marque le plus dans cette séance c'est que la relation "impromptue" entre Fel et Anatole est devenue/va devenir une relation tragique par la force des dés.

C'est bel et bon - c'est aussi ça la force du jdr - mais c'est vrai que ça m'oblige un peu a changer de braquet concernant le roleplay du personnage... Surtout si nos PJ se retrouvent dans l'obligation de faire usage de la force a la prochaine séance pour défendre la liberté retrouvée des prisonniers.

Il va falloir mettre les Pratchetteries entre parenthèse pendant quelques heures...

Carrément. Mais on sent depuis le début qu'Anatole cache derrière son humour potache un cœur tragique !

Une note technique à ce sujet pour les lecteurs (et les joueurs, je ne suis pas sectaire) :
Ce n'était pas une séquence facile à arbitrer, d'une part parce que les personnages étaient dans une situation où l'échec pouvait rapidement signifier le TPK (un combat potentiellement dans le noir dès lors qu'Anatole était en première ligne, et contre quatre cultistes et deux fanatiques, pour moitié tieflins — j'avais bien insisté là-dessus, rappelez-vous —, jouissant donc de la vision nocturne), d'autre part parce que c'était l'archétype de la scène où il fallait gérer à la fois le roleplay et les dés, et que les deux n'étaient pas d'accord.

Déjà, la discrétion de départ, quand aucun perso ne maîtrise la discrétion. Ils avaient pourtant mis toutes les chances de leur côté, et jouissaient donc de l'avantage et d'un seuil faible (10, la perception passive des cultistes), mais la cotte de mailles de Loxias annulait cet avantage, si bien qu'il s'est retrouvé à jeter LE dé déterminant, qui échoua.

Jusque-là tout allait bien, j'ai tout de suite conclu que cela signait le réveil de Fel, pour plus de drama. C'est ensuite que ça se corse, parce qu'Anatole nous sort le discours de sa vie, très persuasif, à la fois humain et engagé, appuyant sur les bons boutons. Mais il s'agit de convaincre une personne endoctrinée et revancharde, il savait que ce ne serait pas facile et l'avantage accordé par vertu du beau discours au jet de dé n'a donc pas suffit à atteindre le seuil de 15 (difficile) qui me semblait naturel pour parvenir à "acheter" le silence de Fel. Mais il a fait pire que cela. Il a fait 14.

J'aurais pu alors aller chercher le succès avec complication (et, de fait, cela finira en succès avec complication, j'y reviendrai), c'est ce que propose le DMG. Mais je ne voyais pas bien sur le moment ce que ça pouvait être : griller une ressource, un emplacement de sort ou un dé de vie, aurait été parfaitement artificiel. Il fallait une complication narrative. Mais laquelle, qui serait compatible avec le succès ? Je n'en voyais pas. J'ai donc opté pour une autre solution : le "non mais". Fel n'est pas persuadée, mais elle leur laisse une porte de sortie. "Partez avant que je réveille les autres."

Là Anatole argumente de nouveau, bien sûr, et il le fait bien. Mais je ne vais pas lui refaire tirer les dés, ce jet est déjà passé. C'est finalement autre chose qui se joue, alors je me dis : c'est elle, ses défenses psychologiques s'amenuisent. Mais il y a quand même peu de chance qu'elles cèdent, puisqu'elles n'ont pas cédé au coup précédent. Je propose donc : elle va jeter d20+SAG (0 en SAG), et il faut qu'elle batte ton score de 14 pour voir la lumière. Elle ne l'a pas fait.

Là, elle aurait pu crier et réveiller tout le monde, mais j'opte pour une solution plus cinématographique (et qui rend justice à la sagacité d'Anatole qui avait pris soin de l'éloigner des autres en l'obligeant à remonter à l'étage du dessus) : elle décide de balancer Anatole dans l'escalier, ce qui va faire un barouf amplement suffisant pour attirer l'attention de ses camarades. Jet de sauvegarde de force. JB crâme son inspiration qu'il avait gardé en réserve pour ce genre de moment et réussit. Avec ça, il sauve la mise de ses copains.

Et nous en venons à la dernière grande décision, qui pour le coup n'était plus la mienne (ouf !). Loxias s'est approché en bas de l'escalier pendant la scène. Ils peuvent encore renoncer. Fel ne les dénoncera pas s'ils partent. Mais Loxias a aussi le temps d'intervenir à ce moment pour renverser la situation, c'est pile quand il faut. Bien sûr, s'il rate son coup, toutes les issues auront été explorées sauf une : le cri. S'ensuivent donc dix bonnes minutes de parlementations de haute volée entre joueurs aguerris, sur les conséquences de l'échec, la responsabilité, la tension de la scène, ses issues possibles, son analyse tactique et roleplay, afin que tout devienne très clair pour tout le monde et qu'Elijah agisse selon la maxime "être des héros, c'est prendre des risques", certes pas universalisable, mais bel et bien validée par ses partenaires.

Le seuil était de 13, Fel fait 9. La scène peut se poursuivre après cet acmé.

Quant à la complication, elle est évidente bien sûr : cela ne va pas se passer comme ça, le culte est au courant et ils ont bien peu d'avance. Surtout, Anatole a fait de Fel quelque chose comme une Némésis, certes pas sous un rapport de puissance, bien au contraire : sous un rapport psychologique. C'est l'enfant battue qu'il a protégée et qui va se retourner contre lui. Et il sera bien difficile de lui faire abandonner l'espoir qu'elle retourne dans son giron.

[BenjaminP]

En prévision de la partie de ce soir, je fais le guide touristique.

Terre Mâlaine

Fondée par des colons calishites particulièrement esthètes, Termalaine est largement considérée comme la perle du Val. Elle s’étire sur les rives des Deux Ombres, bordée au nord et à l’ouest par des forêts de sapins. Tous les chalets du village sont gravés, la plupart de figures de magiciens, d’homuncule, de tigres des steppes et, plus étonnant, d’esprits du désert, qui rappellent les origines de la ville.

Chez la plupart des visiteurs, le ravissement initial cède vite face au vent du nord, particulièrement vif dans cette plaine où il s’engouffre sans merci. Les habitants sont couverts d’épaisses fourrure, souvent d’élan, afin de le combattre comme ils peuvent. Et ils lui reconnaissent une vertu : sur le lac des Deux Ombres, il donne à leurs navires un élan qui suffirait presque à lui seul à les pousser jusqu’à Targos.

En plus des pêcheurs, des armateurs et des graveurs d’ivoire, Termalaine abrite une grande communauté de mineurs qui exploitent un réseau de cavernes au nord et à l’est de la ville. Certains murmurent à demi-mots que ce réseau communiquerait avec l’Outreterre. Cela expliquerait les fréquentes incursions de créatures étranges dans cette steppe venteuse…

La taverne de la ville, la Praire bleue, est tenue par Vernon Braig, un des rares orcs des Dix Villages. C’était autrefois un chasseur nomade très réputé, c’est ainsi qu’il gagna ses galons auprès des habitants, qui le considèrent tous comme « un gars comme nous, pas comme les autres orcs ». Il connaît par cœur la forêt Solitaire et reçoit à l’occasion quelques cargaisons de bonne viande de la part de mystérieux amis qui y pratiquent encore leur art ancestral. C’est, à ce jour, l’un des endroits du Val où on mange le mieux.

Pour le gîte, voir plutôt du côté de l’Occident, l’auberge de Clyde Peskyrk. Ce sont deux chalets liés par une petite passerelle. Clyde est vieux et aujourd’hui alité, il a délégué les affaires familiales à sa fille unique Marta depuis la mort de sa femme.

Spoiler:

Cette chère Marta pourra leur chanter cette chanson :

Elle est venue du vent du nord
La jolie femme sans nom ni port
Drapée dans son manteau rubis
La jolie femme sans un ami
Jusqu’au lac où elle a fuit
La jolie femme sans nom ni port
Mais le vent l’y a poursuivi
La jolie femme sans un ami
Qu’on en soit sûr, elle a péri
La jolie femme sans nom ni port
Elle y a rencontré la mort
La jolie femme sans un ami.

Qui pourra les mener vers Danae, une mage rouge qui habite au Bois Solitaire.

[BenjaminP]

Et voilà, partie jouée !

Episode 11 : L'élan du Bois solitaire

Après une courte délibération, il fut finalement décidé d’amener les prisonniers vers la vallée des nains. Un blizzard se levait au sud, qui aurait rendu compliqué le voyage jusqu’au Hâvredest et il paraissait risqué d’attirer de potentiels poursuivants vers Châteauroi, au nord. Tandis qu’avec Polaris à leur tête, qui prépara à la hâte le traîneau de Romac et divisa son attelage, ils auraient de bonnes chances de fausser leur piste dans la steppe.

Malgré cela, les deux premières heures furent difficiles et menacèrent de réduire à néant leur avance. Heureusement, ils croisèrent alors la route d’un troupeau d’élans en migration, autour duquel Polaris sut habilement manœuvrer. En insérant leur cortège entre deux attroupements denses qui se refermèrent derrière eux, ils purent disparaître derrière le nuage de neige que soulevait les immenses cervidés. Au loin, plus au nord, une bande de nomades du Reghed de la tribu de l’ours suivait le troupeau. Les poursuivants les rencontreraient sûrement. Qu’allait-il se passer ? Mieux valait filer avant de le découvrir.

Spoiler:

Ces rencontres aléatoires, troupeau et nomades, avaient été tirées à l'avance. Je ne suis pas fâché de leur cohérence inattendue et de leur parfaite insertion dans le récit.

Kelta, la matriarche naine, leur réserva un bel accueil. Bien au chaud dans la vallée, les prisonniers libérés pourraient retrouver la santé et se remettre de leurs émotions. Tandis que Loxias persuadait Kelta d’intervenir pour redresser la situation de Châteaudun, Polaris rendit visite au brasseur qui se rendrait bientôt à Châteauroi pour livrer sa bière à Athanase. Il confia Lazare et sa mère à ses bons soins, ainsi qu’une longue lettre à destination de son père. Lazare était doué avec les chiens, il l’avait constaté, et Athanase ne cracherait sûrement pas sur un peu de compagnie.

Le lendemain la route fut belle, surtout pour Polaris dont le cœur battait de plus en plus fort à mesure qu’ils s’approchaient du lac des Deux Ombres et du refuge de Shila du Reghed sur son rivage. Elle les accueillit à bras ouvert, avec une chaude tisane et du poisson frais, s’intéressa longuement à Boy et finit par leur avouer ce qui la préoccupait : le Bois solitaire, devenu vital pour le Val depuis la Longue Nuit, devenait impraticable pour les bûcherons. Les animaux s’y montraient de plus en plus hostiles et entreprenants. L’un d’eux, en particulier : un gigantesque élan albinos, dont des rumeurs affirmaient qu’il était allé jusqu’à dévorer l’un d’entre eux. Shila soupçonnait l’implication de druides de son ancienne tribu. En l’absence de chefs, peut-être avaient-ils succombé à l’appel de la Vierge de glace ? Anatole le premier conclut qu’il fallait en avoir le cœur net, bien vite appuyé par ses deux acolytes. Shila ne cacha pas sa gratitude. Elle embrassa le vieil homme sur le front et pria Boy de bien veiller sur son maître. Ils partirent.

Spoiler:

Ils ne passeront donc que très brièvement par Terre Mâlaine, notez, avec ce détour par la vallée naine que je n'avais pas prévu. J'avais aussi transmis au cas où un petit topo sur Targos et Bois solitaire, cela dit, que je posterai à l'occasion.

Après une halte pour la nuit à Terre mâlaine sous le toit de Marta, ils pénétrèrent au matin dans le Bois solitaire. Il ne fallut que très peu de temps à Polaris pour pister cet élan et les mener dans une partie du bois étrangement abandonnée. Seulement, quelque chose, un sortilège peut-être, paraissait les empêcher de progresser plus avant. Mais ils s’approchèrent tant que ce quelque chose finit par montrer sa sinistre figure : le fantôme d’une elfe des temps jadis, en armes et en armure, poussa son cri perçant et les surprit au détour d’un bosquet. Loxias au cœur endurci n’hésita guère : quand les morts reviennent parmi les vivants, seule la foi vous sauve. Il mit sabre au clair et, guidé par la lumière de Helm, ne tarda pas à renvoyer ce spectre dans les champs élyséens qui l’attendaient depuis si longtemps.

Spoiler:

Un 20 naturel au jet de pistage initial m'a poussé à les mettre sur la bonne piste dès le départ, mais j'ai quand même demandé un jet de rencontre pour voir ce qu'ils croiseraient en chemin. C'est tombé sur la plus dangereuse de toute, la Banshee. J'en ai donc fait à brûle-pourpoint la gardienne qu'il fallait défaire pour accéder à la tombe.

Dès que le fantôme s’évanouit, le bois s’ouvrit pour eux et révéla un sanctuaire préservé des âges. Un tertre dominait une petite clairière où un sarcophage scellé, cerné de piliers de cristal, dormait non loin d’un belvédère, sous le regard imperturbable de gracieuses statues toutes tournées vers lui. Au-delà, comme creusé dans le tertre, un gnomon de marbre s’élevait au centre d’un cadran lunaire. Pendant que Loxias inspectait le sarcophage et découvrait sur les piliers de cristal les traces d’un ancien rituel, Polaris s’intéressa au cadran. Il s’en approcha à pas lent, jusqu’à remarquer qu’une ouverture permettait apparemment d’entrer dans une sorte de caverne creusée dans le tertre à cet endroit. Poussé par son instinct de la chose religieuse, Loxias était déjà au belvédère et réunissait les éléments du rituel dans le brasero qui s’enflamma quand l’élan albinos jaillit de la caverne et encorna Polaris, avant de le projeter au sol pour le piétiner de ses sabots. N’écoutant que son courage plutôt que les grincements qui provenaient du sarcophage derrière lui, Anatole voulut attirer l’attention de l’élan pour permettre à Polaris de se dégager, mais le jeune garçon ne bougeait plus. L’animal enragé, satisfait, éloigna Boy d’un coup de corne, gratta le sol de ses sabots et chargea droit sur le vieillard.

Anatole n’eut que le temps de dresser devant lui une rune protectrice sur laquelle l’élan gigantesque vint se fracasser, mais le sort ne durerait pas, Anatole le savait. La situation était mauvaise, Loxias trop loin pour intervenir, et voilà que la magie faiblissait. C’est alors qu’il entendit derrière lui une voix d'outretombe.
« Quels sont vos ordres, Maître ? »

Spoiler:

J'ai modifié un ingrédient du rituel pour le rendre plus facile à déclencher (un ongle plutôt qu'une main coupée) et je n'en suis pas mécontent : ça a permis que tout se télescope à merveille pour donner une scène super dynamique, où tout tombait au bon moment presque par magie : Loxias, qui a tout compris tout de suite, a déclenché le rituel exactement au moment où Polaris se faisait rouler dessus par cette dangereuse bestiole. Ça tombe bien parce que, après la rencontre avec la Banshee, mais trois pauvres personnages niveau 3 ne vont pas faire les malins face à ce qui les attend. Il leur reste 28 PV à eux trois. La créature du sarcophage ne sera vraiment pas de trop, à tel point que je me demande bien si cette quête est réalisable sans. J'en doute, sauf équipe de cinq ou six personnages qui arrivent tout frais. D'où le changement initial dans le rituel. Je pense vraiment qu'il faut le faciliter, déjà parce que ça donne beaucoup de saveur au lieu, ensuite parce que ça me paraît indispensable au bon équilibrage (notons tout de même que la quête ne prévoit en théorie que d'affronter l'élan pour être remplie ; la druidesse d'Auril qui l'accompagne, c'est du bonus, et bien des équipes la fuiront, à mon avis).

[haplo]

Il confia Lazare et sa mère à ses bons soins, ainsi qu’une lettre à destination de son père.

Que voici : 

Papa, 

Je t'annonce par cette lettre l'arrivée d'une mère et son fils à Caer Conig, avec la nouvelle cargaison qui s'est un peu fait attendre, mais comme tu l'a appris, Omri mettait l'affaire en péril. La dame elle a été enfermée pendant des semaines à Caer Dineval, aussi je souhaiterais que tu prennes soin d'elle le temps qu'elle se renfile, et je n'ai pas de doute qu'elle saura se montrer utile quand elle ira mieux - peut-être avec les sœurs ? Son petit, Lazare, j'ai pu le constater, est doué avec les chiens, et si nous le formions, nous aurions une recrue solide, agile et sagace. Je te demande, s'il te plaît, de l'accepter. D'abord parce que comme dit, il a le talent, il tient l'art, les bêtes l'aiment et il le leur rend bien. Ensuite, car nous partons voir Shila qui est affligé d'un problème, on se figure qu'il est lié à l'Hiver, celui qui nous couvre depuis maintenant des années. Tu es un peu méfiant, mais je t'assure, elle est toute au Val. 

Je ne rentrerais pas tout de suite en somme, et je ne sais pas quand je rentrerais. Je n'ai pas idée de ce que nous allons trouver là-bas, de ce qui nous attend, mais tu as compris lors de notre passage que nous étions décidés, avec Loxias et le Vieux Maître, la Nuit doit cesser, les bêtes doivent manger, les hommes doivent faire la paix. Je t'affirme que ce chemin, je l'emprunte déterminé, personne ne m'a soufflé rien du tout, c'est nécessaire et voilà. Je suis bien accompagné. Pour la première fois depuis longtemps j'ai la foi. Pas dans une puissance, ou alors la nôtre. 

Depuis que je voyage avec Loxias, j'ai l'impression d'être avec toi parfois. Sa façon de parler, de saisir vite l'esprit et trouver le parti, le sens des responsabilités des nôtres qui ont résisté toujours à la rudesse du Val, ses yeux, ses pommettes, les épis qu'ont devine dans sa chevelure, la poigne qui m'enserre la main pour m'aider quand on grimpe, des fois je marche à tes côtés et mon cœur s'apaise. Même quand je doute si maman elle peut voir, avec le manteau noir du ciel, tu es là, à travers Loxias, à travers les chiens, à travers cette tâche sur notre hanche à tous les deux. Je me demande comment ce sera si on disparaît des semaines, des mois, et que les menaces qu'on préssent elles se jettent sur le foyer, si Auril elle réclame plus aux derniers souffles de nos dix villages. Si ça arrive, je te retrouverais, peu importe où tu es. 

Quand je reviendrai pour de bon, on ira voir maman, loin à l'Est, un matin on se lèvera, on boira une liqueur et du pain et des œufs, on harnachera l'attelage, et on filera tout droit vers l'aurore émeraude qui nous parlera du soleil ressurgi. On foncera des heures et on établira le camp, peut-être avec Loxias, peut-être avec Shila, peut-être avec Lazare ou juste en intimité, on ira rencontrer sa tombe et on regardera le Printemps qui se dresse comme on s'étire au réveil, peindre le ciel comme il sait sur des heures, on se jettera de la neige plein la gueule comme quand j'étais minot, avec les colmins, on lui dira salut parce que ça fait longtemps, et puis on pensera au vieux temps un peu et à celui qui vient beaucoup, on séjournera, et on aura la vie devant nous, parce que le Val renaîtra. 

D'ici là, prends soin de toi, des deux sœurs, des gens du Caer, de Lazare et de sa mère. 

Je ne sais pas quand je rentre. 

Je t'aime. 

[Elijah Shingern]

Quelques observations sur les évènements des deux dernières parties

1. "Et je m'avancerai vers l'Autel du Gardien
Le regard tourné vers le Visage du Vigilant
L'Oeil du Guerrier m'inondera de sa Lumière
L'Oeil du Guerrier fera ruisseler sa Puissance

Voici le Signe du Dieu
Prosterne-toi devant Helm"
Psaume chuchoté à Chateaudun

S'ensuivent donc dix bonnes minutes de parlementations de haute volée entre joueurs aguerris, sur les conséquences de l'échec, la responsabilité, la tension de la scène, ses issues possibles, son analyse tactique et roleplay, afin que tout devienne très clair pour tout le monde et qu'Elijah agisse selon la maxime "être des héros, c'est prendre des risques", certes pas universalisable, mais bel et bien validée par ses partenaires.

C'était un grand moment de jeu de rôle.

Il me paraissait affreux que le superbe et émouvant discours d'@Islayre d'Argolh et la réaction quasi-parricide de Fel s'achève par une retraite tactique, fût-elle l'option raisonnable.

Et la discussion méta presque philosophique de quelques minutes qui s'est déroulée dans les quelques millièmes de secondes séparant la chute d'Anatole du surgissement de Helm dans ce lieu impie était assez merveilleuse. Je remercie mes comparses de m'avoir laissé faire ce que je voulais - je pense que pour eux aussi, un dénouement banal aurait été décevant

2. " Le Serviteur de Helm
Oracle de son Dieu
Rappelle les Dieux des Elfes
Dans leur antique Sanctuaire

Voici la Branche, puissant bras du Maître des Bois
Voici la Pomme, fruit du Pilier qui soutient le Ciel
Voici la Plume, symbole du Roi des Airs
Voici l'Ongle, sacrifice du Serviteur
Voici le Feu qui consume et qui purifie.

Revenez, O Seigneurs des Elfes,
Dans vos demeures souillées
Et chassez le Mal qui les hante"
Purification du Sanctuaire de Bois Solitaire

Poussé par son instinct de la chose religieuse, Loxias était déjà au belvédère et réunissait les éléments du rituel dans le brasero qui s’enflamma quand l’élan albinos jaillit de la caverne et encorna Polaris, avant de le projeter au sol pour le piétiner de ses sabots.
[...]
C’est alors qu’il entendit derrière lui une voix d'outretombe.
« Quels sont vos ordres, Maître ? »

Je... n'avais pas du tout prévu ça

A vrai dire, je pensais - au pire - que le rite ferait venir l'Elan Blême, ou - au mieux - que je chasserai d'éventuelles autres banshees, mais pas du tout qu'une momie sortirai - fort à propos - du sarcophage pour se mettre à mon service.

[BenjaminP]

Il me paraissait affreux que le superbe et émouvant discours d'@Islayre d'Argolh et la réaction quasi-parricide de Fel s'achève par une retraite tactique, fût-elle l'option raisonnable.

Entièrement d'accord, j'aurais été déçu aussi pour tout dire. Il fallait soit une action d'éclat soit un drame, c'est certain.

Spoilers pour la suite :

Spoiler:

J'ai le sentiment que cette momie elfe pourrait jouer un rôle très intéressant, je l'ai donc développé un peu au-delà de ce qu'on a dans le module, ou ce n'est qu'un nom. Mais il y a tout dans l'environnement pour l'étoffer un peu, je vais m'appuyer là-dessus pour en faire le témoin du temps de Netheril et de la retraite des elfes vers les champs d'Arvandor. Je vais aussi garnir un peu la tombe en trésors, puisque ce sera sûrement le dernier épisode de ce premier chapitre.

[Islayre d'Argolh]

La situation était mauvaise, Loxias trop loin pour intervenir, et voilà que la magie faiblissait.

La magie d'Anatole ne faiblit pas. Elle est toujours vigoureuse, voire triomphante.

Anatole n’eut que le temps de dresser devant lui une rune protectrice sur laquelle l’élan gigantesque vint se fracasser, mais le sort ne durerait pas, Anatole le savait.

Les sorts d'Anatole durent longtemps. Très longtemps. Jusqu’à 19 minutes, ce qui est beaucoup plus que la moyenne nationale.

[Orlov]

La situation était mauvaise, Loxias trop loin pour intervenir, et voilà que la magie faiblissait.

La magie d'Anatole ne faiblit pas. Elle est toujours vigoureuse, voire triomphante.

Anatole n’eut que le temps de dresser devant lui une rune protectrice sur laquelle l’élan gigantesque vint se fracasser, mais le sort ne durerait pas, Anatole le savait.

Les sorts d'Anatole durent longtemps. Très longtemps. Jusqu’à 19 minutes, ce qui est beaucoup plus que la moyenne nationale.

C'est donc vrai ce qu'on dit sur la vigueur des personnes capilairement déficientes ? M'en vais me raser la tête right now !

[BenjaminP]

Et voilà, dernière partie de la saison, avant les vacances et le reprise en septembre, et comme on a le sens du timing : fin du chapitre 1 ! On attaquera le deux à la rentrée.

Épisode 12 : La Gardienne du Nord

« Quels sont vos ordres, Maître ? »

Anatole était à portée de dents, à présent, et son sort faiblissait. Son ordre se réduisit à un mot : « Tue », prononcé en elfique comme l'était la question, et à un doigt pointé vers l'animal. Alors sans un souffle la créature passa devant lui. Grande, la peau rare, sèche et tendue sur des os saillants qui ne soutenaient plus aucun muscle, elle n'était vêtue que d'un torque en argent posé sur les lambeaux d'une étoffe millénaire et dégageait un parfum douceâtre de cannelle, de muscade et de girofle. Sur son visage cadavérique où de rares morceaux de chair lui dessinaient malgré tout des joues trop creuses et des lèvres trop fines sur une bouche trop large, deux globes opalins, enfoncés dans leurs orbites, luisants, avides, transmettaient seuls les indices de la vie. Elle les planta dans les yeux hagards de l'animal enragé, qui se figea dans l'instant, avant de le saisir à la gorge. Là où s'enfonçait ses ongles taillés en pointe, la chair et la fourrure de l'élan commencèrent à noircir. Il se dégagea de l'étreinte de ce cadavre trop vivant, mais il était trop tard. La décomposition se poursuivit et même accéléra pour achever son œuvre en quelques battements de cœur.

Loxias, qui avait profité de la diversion d'Anatole pour venir en aide à Polaris, s'approcha à pas lents de l'animal étalé au sol qui tremblotait encore. Il examina ses dents d'herbivore où quelques parcelles de chair se devinaient encore. Le sang qui lui maculait les naseaux. Qui avait ainsi transformé cet animal ? Ce fut la question qu'il alla poser à la créature du sarcophage après un salut courtois et de profonds remerciements.

Mais Sahrane, gardienne du Nord, n'en savait rien. Voilà plus de mille ans qu'elle n'avait connu ni jour ni nuit. Elle était née quand l'humanité n'était que dans ses langes et avait vu, ici, dans le Val, de ses yeux vus, le géant Kelvin tenter de restaurer l'empire d'Ostoria avant d'être enterré sous une montagne de pierres par les dieux eux-mêmes. Elle avait vu les nains et les goliaths forger leur alliance pour renverser les tyrans. Elle avait vu les cités de Netheril passer au dessus du Bois Solitaire alors que les premiers habitants d'Illusk, les humains qui chasseraient les elfes, s'installaient dans le Valbise. Elle avait été la dernière de son clan, restée en arrière alors que tous les autres avaient fui pour l'Éternelle rencontre. Avec ses deux sœurs, elle avait veillé longtemps sur la mémoire de son clan, sur la mémoire des derniers elfes au nord de l'Échine. Puis Artème et Melfila avaient péri sous les assauts des hommes. Alors elle avait passé un accord avec Eilistrae, la déesse de la Lune, qui lui promis de conserver son corps et de la préserver de l'Appel d'Avandor jusqu'à ce que ses sœurs et ses frères la rejoignent. Et ce jour était arrivé.

Ils étaient étranges, pour des elfes. Petits. Lourdement armés. Engoncés de fer pour l'un, de fourrure pour l'autre. Comment pouvaient-ils danser, ainsi vêtus ? Mais peu importait. Allaient-ils l'aider comme promis à préserver la coupe du souvenir ? Elle confia au vieillard, qui devait avoir dix mille ans, son grimoire qui ne lui servirait plus ainsi que son anneau d'or et la lentille lunaire, qui tous gisaient dans son tombeau. Elle leur expliqua le rituel qui, à l'aide de la lentille, leur ouvrirait la tombe et même celui qui leur laisserait se servir du miroir au lointain. Mais alors elle sentit une présence. Le miroir. Quelqu'un s'en était servi récemment. Sacrilège.

Justement, Boy frétillait, il tirait par la manche son maître tout juste remis sur pied vers les profondeurs du tumulus où s'appuyait le sanctuaire, vers la caverne d'où l'élan avait jailli. Il avait flairé quelque chose. À l'intérieur, trois couloirs, menant l'un vers le miroir, les deux autres vers des portes que le rituel avait déverrouillée. Boy insistait et grognait devant la porte nord. Quand Sahrane s'avança dans cette direction, Loxias s'interposa. « Je suis mieux équipé pour encaisser ce qui nous attend. » Il ne croyait pas si bien dire.

Dès qu'il poussa la porte et pénétra dans la chambre mortuaire, un puissant sortilège manqua de l'incinérer et l'aurait sûrement fait s'il ne s'était protégé préventivement derrière son pavois. Il roula sur le côté pour laisser libre le passage derrière lui, avant d'apercevoir la femme, vêtue comme une nomade de la tribu de l'élan, son regard de flamme, prête à en découdre, et le loup qui sauta dans sa direction pour trouver sur son chemin la poigne de Sarhane qui interrompit son bond. Polaris décocha une flèche en direction de la nomade et ordonna à Boy de rester au côté d'Anatole pour le protéger, mais trop tard : la magie de cette druidesse s'exprima encore, plus gravement cette fois. Tout l'air de la chambre se condensa soudain et des milliers d'esquille de glaces s'y formèrent et s'y agglutinèrent avant de retomber sur eux en une pluie de grêlons gros comme le poing. Le vieux maître fut séché pour le compte, après avoir pu, tout de même, lancer une volée de flèches arcaniques qui touchèrent leur but.

La glace répandue au sol rendait leurs mouvements malaisés. Loxias ne put qu'à grand peine s'approcher d'elle et faire parler la foudre. Tout près, assez près pour guider la prochaine flèche de Polaris infailliblement vers sa cible, mais tout près, trop près pour résister à l'assaut qui suivit. La brûlure le reprit de plus belle et il s'effondra. Sahrane s'était débarrassée du loup mais elle était maintenant trop loin pour agir. Mais la dernière flèche de Polaris fut la bonne : elle trouva l'œil droit de la nomade qui périt sur le coup. Sans attendre, il se précipita à l’intérieur, vers son oncle, voyant avec terreur la brûlure se répandre. Mais, guidé par Perceval qui ne perdait jamais le nord, il avisa non loin un sac contenant ces baies que Shila lui avaient administrées plusieurs fois déjà, aux vertus magiques et apaisantes. Il s’en saisit et les écrasa sur la brûlure, qui cessa tout soudain. Anatole quant à lui reprenait ses esprits. Ils avaient vaincu, libéré le sanctuaire des elfes de la présence de cette femme que la colère d’Auril avait pervertie.

Sahrane s’inclina pieusement devant la tombe de Melfila dont elle souleva le couvercle d’une seule main. Elle y puisa un objet, une épée, qu’elle apporta à Loxias posée sur ses deux paumes tendues vers lui. « Vilvagafaïm. Le Vent du Nord. Fais en bon usage, courageux guerrier. » Loxias le jura, devant Helm, et tous les dieux des Elfes. Le rituel se reproduisit dans l’autre chambre, devant la tombe d’Artème, où Sahrane tira la coupe qu’elle était venue chercher, puis un arc décordé et une paire de bottes. « Pour toi, jeune archer. Evandiferas. Le perce-neige. » Polaris, paralysé devant Sarhane qui décidément l’impressionnait beaucoup, bredouilla le plus beau merci qu’il put. Il était ému. Ils avaient libéré des trésors extraordinaires de la brume du temps, ils les avaient reçu de la main même qui les avait placés là, d’une créature effroyable et magnétique qui sentait la cannelle et donnait la mort à mains nues.

Le soir venu, lors du campement, il la regardait encore quand il crut apercevoir du coin de l’œil un attroupement de corbeaux au-dessus d’elle, et quelques ombres fugitives parmi eux, longues, élancées. Elfiques. À ce moment, Sahrane caressa la coupe qu’elle tenait encore tout contre elle, celle qu’elle protégeait jadis aux côtés de la chasseuse et la danselame, celle pour laquelle elle avait été prête à endurer une éternité d’attente. « Soyez sans craintes, mes sœurs. Je ne laisserai pas la Reine corbeau s’emparer de vos mémoires. »

Spoiler:

Oui, j'ai jugé qu'ils n'en avaient pas assez dans les pattes et je leur ajoute cette petite péripétie ! Ce n'est pas du tout prévu dans la campagne, mais j'ai senti qu'il fallait faire honneur à cette momie elfe qui va les accompagner un petit temps, avant de partir en poussière. Alors zou, la coupe qu'on trouve dans la tombe sud contient tous les souvenirs des elfes du nord, partis depuis une éternité, et maintenant qu'elle est sortie de sa cachette, la Reine corbeau va bien évidemment chercher à s'en emparer pour bâtir son palais de la mémoire.

Demain, ils retrouveraient Shila, sans doute pourra-t-elle mieux leur expliquer tout cela. Sans doute saura-t-elle qui était cette nomade qui avait profané le sanctuaire des elfes au nom d’Auril. Alors ils décideraient de la suite. En attendant, ils n’avaient pas volé un peu de repos.

*
* *

Nous voilà donc avec quatre quêtes complètes accomplies dans le chapitre 1 (les lingots de fer des nains, le cairn de Kelvin, les prisonniers de Châteaudun et le sanctuaire elfique de Bois Solitaire), plus le cold open (Sephek Kaltro), on est bon pour le chapitre suivant, avec passage au niveau 4. Je crois en plus avoir distillé quasiment toutes les pistes nécessaires pour la suite, ils ne manquent pas de choses à voir et à faire, qui seront reliées à leurs aventures précédentes mais se focaliseront chacune sur un détail précis — c'est ainsi qu'est conçu le deuxième chapitre. (Oh tiens d'ailleurs j'oublie une chose dans le CR : Sahrane a immédiatement senti que le mythallar d'Ythrin était de nouveau en activité, et elle l'a mentionné à Anatole.) C'est sur des rails ! Hâte de poursuivre. Excellente campagne.

[Islayre d'Argolh]

Le vieux maître fut séché pour le compte, après avoir pu, tout de même, lancer une volée de flèches arcaniques qui touchèrent leur but.

Pop, pop, pop !

Le vieux maître était en réalité en pleine forme et simulait un passage instantané de 17 PV à 0 PV, ainsi que le tirage de sauvegardes contre la mort.

Tout ça, bien évidemment, afin de tester ses protégés en situation de danger.

d'ailleurs...

Anatole quant à lui reprenait ses esprits.

Voila, une preuve irréfutable que tout ça était de l'ordre de la ruse.

Un peu de vigilance sur l'objectivité de ce CR ne ferait pas mal.

Déja quand je lis :

Elle confia au vieillard, qui devait avoir dix mille ans,

Alors qu'Anatole est dans une forme éblouissante du fait de sa pratique régulière de la gymnastique suédoise, je m'interroge.

[Tholgren]

Mais... Mais je découvre ce CR ! Comment ai-je pu passer à côté ? Pôvre de mouah !
Je n'ai que survolé et déjà j'ai pouffé à chaque page.
Je sens que la lecture attentive sera époustouflifiante voire davantage !
Mais les gars, vous êtes mais... beaux !

[Elijah Shingern]

Mais... Mais je découvre ce CR ! Comment ai-je pu passer à côté ? Pôvre de mouah !
Je n'ai que survolé et déjà j'ai pouffé à chaque page.
Je sens que la lecture attentive sera époustouflifiante voire davantage !
Mais les gars, vous êtes mais... beaux !

Le plus meugnon, c'est Polaris Joli Cœur - même si Anatole a de beaux restes.

Quant à Loxias, vu le nombre de mandales qu'il a mangé sur les derniers combats, je pense que sa trogne a besoin d'un ravalement complet

[BenjaminP]

Et c'est reparti !

Ce soir, retour dans le Valbise, pour la suite des aventures d'Anatole, Loxias et Polaris. On attaque le chapitre 2, pour probablement une douzaine de sessions, dirais-je (peut-être moins, parce qu'on l'a déjà bien annoncé au chapitre 1).

Je leur ai demandé quelles pistes ils allaient suivre en priorité, histoire d'avoir un fil rouge pour la préparation, et les gagnantes sont :

— Macreadus, le rival d'Anatole, a disparu. (Ne lui dites pas que je l'appelle son rival, il trouve que c'est lui faire bien trop d'honneur.) Ce grand mage de Montandre s'était isolé dans une cabine hors de la ville pour travailler quelques jours, mais il n'est jamais revenu.

— Isobaï, la trappeuse gobeline qu'il connaisse bien, a pris langue avec le préfet de Montandre. Une expédition diplomatique vers la forteresse de Karkholok.

— La présence des sorciers rouges et de la Confrérie de l'Arcane dans le Val turlupine beaucoup Loxias. Il sait qu'un de ces sorciers est retenu actuellement dans la prison de la Fin du monde. Y faire un tour n'est pas exclu. Par ailleurs, la curiosité le pousse à aller jeter un oeil vers ces terres où Dzaan, le sorcier mis au bûcher sous leurs yeux à Hâvredest, avait lancé une expédition.

(Chacune correspond bien sûr à une ou plusieurs quêtes du chapitre 2 ; notez au passage que nous n'avons pas eu besoin des tables de rumeurs, très fournies au demerurant, pour les introduire. C'est le métier, ça, mon petit.)

Par ailleurs, comme l'interruption estivale a été longue, je vais commencer par un petit monologue récapitulatif in character : on va plonger dans les pensées de Sarhane, la momie elfe qu'ils ont réveillé d'un sommeil millénaire. (Mes joueurs, je le lirai ce soir, vous pouvez vous épargner la lecture si vous avez peur de vous ennuyer.)

*

Pensées de Sarhane au coin du feu, après un sommeil de deux mille ans

Je ne suis ni morte ni vivante et le monde ne se ressemble plus.
Oh, les vents catabatiques descendent bien toujours du glacier pour venir s’engouffrer dans tout ce qui ose vivre sur la plaine. Sans faillir, ils trouvent leur chemin dans les plus maigres intervalles, les plus petites fissures, les interstices des fourrures et des tentes, sous les toits et entre les planches des constructions les plus solides pour en aspirer toute chaleur.
À l’est, les falaises du glacier sont toujours tels les murs d’une prison à ciel ouvert que les monts enneigés de l’Échine refermeraient au sud. Au nord, à l’ouest, la mer Banquise charrie ses icebergs en un grossier tumulte. On croirait entendre l’hiver qui grincerait des dents, prêt à lancer ses armées blanches sur une terre paralysée.

Car le soleil, lui, a modifié sa course. Il ne quitte plus l’horizon. Les monts de l’Échine, ces gardiens éternels, le masquent à toute heure. Entre les nuits noires, les jours ne sont plus qu’un obscur crépuscule. Parmi les étoiles, les rideaux de lumière ondulent et obfusquent l’aurore. Le val est gelé par l’hiver éternel. De terribles tempêtes de grêle et de grésil soufflent constamment et recouvrent d’une épaisse couche de givre le moindre relief, la moindre créature. La neige a masqué tous les chemins.
On dit que ce serait l’œuvre de la Dame de l’Hiver. Changer la course du soleil ? Je pensais ce genre de magie disparu en même temps que tombaient du ciel les riches cités de Netheril. Mais cette magie ancienne et oubliée même de mon vivant, je l’ai sentie à mon réveil. Quelque part, vers l’est, un mithalar vibre, comme avant la chute. Une relique a repris vie. À mon image.

Polaris et Shila se serrent au coin du feu. Ce ne sont pas des elfes. Les miens s’en sont allés. Je sers entre mes doigts la coupe de leur souvenir, la dernière trace qu’ils laissèrent sur cette terre. Le courageux Loxias m’assure que, au-delà de l’Échine, dans des cités radieuses encore préservée des griffes gelées d’Auril, des elfes vivent encore. Qu’il les a vus de ses yeux vus, et leur bosquet sacré, et leurs hautes tours d’ivoire, dans une immense forêt au vert perpétuel. Je pourrais leur remettre, mais c’est si loin. Et mes forces me quittent. Au-dessus de ma tête, j’entends tourner les corbeaux de la Reine. Elle attend son heure.

Le sage Anatole m'entretient des nouveaux peuples et de leur histoire. Les nains se terrent toujours. Les demi-géants se disputent toujours, tandis que leurs pères immenses, qu’on croyait disparu, auraient refait surface. Du temps d’Ostoria, ils vénéraient Thrym ; une hérésie en aurait poussé certains vers Auril. Leur disparation n’en était que plus méritée. Que veulent-ils, à présent qu’ils reviennent ? L’hiver éternel leur conviendra très bien.

Les humains sont partout. Ils ont construit dix villes, qui toutes empestent la charogne et l’huile de baleine. C’est sous ces nouveaux atours industrieux qu’ils règnent sur le val, à présent. Mais l’hiver les effraie. Malgré tous leurs outils, toutes leurs maisons de pierre, leurs toits de planches goudronnées et leurs fourneaux haut comme des géants, le froid ronge cet embryon de civilisation qu’ils croyaient détenir. Polaris a des larmes dans les yeux quand il évoque son père, son passé, l’avenir qu’il croyait pouvoir lui offrir. Les humains ont bien changé. Ils ont un passé, maintenant.
Des nomades ont cependant préservé la vie que je leur connaissais, derrière les troupeaux de rennes ou à l’affût des morses. Ils forment quatre clans, l’élan, l’ours, le tigre blanc, le loup. Shila était de ce dernier. Mais leur chef n’est plus et depuis le loup perd la tête. Elle en paraît très tourmentée. Sa fuite la rattrape. On ne coupe jamais impunément ses racines. Les humains des villages pourraient en dire autant.

Loxias fait tourner entre ses doigts quelques morceaux de pierre. La chardalyne. Celle que les nains des profondeurs recherchent par-dessus tout. Shila l’observe et ajoute qu’elle a vu récemment certains nomades de l’ours en arborer en pendentifs, ou en sertir leurs armes. À chaque fois, ils avaient le regard fou. C’est ce qui arrive à ceux qui écoutent Asmodée, précise Anatole. Asmodée. En voilà un qui n’a donc pas disparu. Si le grand diable est à l’œuvre, que nous réserve-t-il ? Quels sont ces plans ? Loxias se félicite qu’une certaine Avarice soit sur la piste. Le chien de Polaris aboie dès qu’il prononce son nom.

*

Vivement !

[BenjaminP]

Pour parler un peu de l'aventure elle-même et du rythme qu'elle adopte :

Spoiler:

Les plus sagaces d'entre vous auront noté que les objets magiques trouvés dans la tombe elfique ne sont pas prévus dans l'aventure telle qu'écrite. Je les ai ajoutés (et d'ailleurs fabriqués) pour compenser le faible nombre de nos aventuriers, parce que la suite du programme ne rigole pas du tout. Le chapitre 2 est en réalité conçu pour offrir de bonnes situations dans le deuxième tiers de jeu, soit les niveaux 4-7, ce qui pour seulement trois aventuriers se traduit plutôt en 5-8. Nous sommes ici niveau 4, donc on les aide un peu.

Par ailleurs, le chapitre 3 (Xardorok) est conçu pour être joué "pas en dessous du niveau 4", donc au chapitre 2, mais plutôt en plein milieu, de même que sa conclusion, le chapitre 4 (Assaut sur les dix villes), puisqu'elle précise que "si les persos ne sont pas niveau 7 à la fin du chapitre 4, renvoyez-les au chapitre 2".

Je crois que c'est ce que je vais faire : jouer une petite dizaine de sessions "chapitre 2", par exemple la Black Cabin, les nomades et les Goliaths, puis leur faire rapidement miroiter la possibilité de partir à l'assaut de Xardorok, la forteresse duergar, où ils bénéficieront par ailleurs de l'aide d'Avarice (et peut-être de Sarhane, si elle est encore là). Comme ça, on jouera l'assaut sur les dix villes dans la foulée, et je me réserve des bouts de chapitre 2 pour les aider dans la quête finale, l'île d'Auril (niveau 7, donc après le chapitre 4) ; genre le Jarlmoot des géants (pour lesquels j'aimerais bien que Sahrane soit encore là, mais ça, c'est pas moi qui décide) ou encore la tour perdue de Nétheril, puisqu'ils pourront y trouver de vraies billes leur laissant penser que briser la malédiction d'Auril devient à leur portée. De fait, ces endroits sont à l'extrémité du spectre "menace régionale". Au-delà, c'est Auril, qu'on peut légitimement classer parmi les menaces à l'échelle du continent.

Ces chapitres 3 et 4, plus la fin du 2, c'est encore environ huit sessions de plus à mon avis. Auril, l'entrée dans le troisième tiers, facile trois de plus à elle toute seule. Si nous allons jusque-là (ce que je souhaite), on se posera la question de continuer ensuite, et ce n'est pas dit. La visite d'Ythrin ajoute facilement une dizaine de sessions au compteur, à fond dans le troisième tiers, avec des persos devenus des légendes du Val. C'est toute une autre histoire. C'est super qu'ils aient prévu de continuer comme ça avec ce mégadonjon final, mais ce n'est pas ce qui m'éclate le plus, et mes joueurs pas beaucoup plus en général. C'est donc surtout super qu'ils aient prévu une fin intermédiaire. Une fois Auril défaite, poursuivre est purement une question de choix. On pourrait même dire que c'est déjà le cas après le chapitre 4, puisque, s'il débarrasse le val de la menace duergar, c'est déjà un sacré morceau d'accompli.

Je crois que c'est pour ça que j'aime particulièrement cette aventure : elle est très malléable, très facile à manger par morceaux et à réorganiser, avec sa structure d'abord en cercles concentriques allant s'élargissant, puis en étoile vers les trois fins ultimes (Duergars, Auril, Ythrin).

Bref, tout ça pour dire que c'est un joli moule, dont je regrette qu'il n'ait pas plus servi (chez WotC comme ailleurs). Il colle parfaitement aux tiers of play, il permet des allers-retours et des adaptations fines. Surtout, il laisse les joueurs complètement maîtres de leurs objectifs, en bon bac à sable, mais tout en proposant tout de même plusieurs histoires épiques.

[BenjaminP]

Et voilà ! Désolé, je vais feuilletonner un peu, parce que c'était très chouette et que ça s'écrit tout seul.

Épisode 13 — Partie 1 : Ambassade et bassine

Nos aventuriers ont quitté à regret les rives du lac des Deux Ombres. Dans la tenue de peau que lui avait confectionnée Shila, Polaris rosissait encore de bonheur quand ils atteignirent la piste des Dix. L'odeur du cuir frais et de la fourrure formait sous ses pieds comme un petit nuage d'allégresse qui lui allongeait le pas. Tirant leur traîneau, Boy le suivait gaiement, ravi de cette allure. Anatole l'était moins. Pour ses vieux os, la vie au grand air de ces derniers jours avait exigé un lourd tribut. Il songea à s'en plaindre avant de se raviser. Ainsi à l'arrière du cortège, seule Sahrane l'entendrait et, en fait de vieux os, mieux valait ne pas tester la concurrence.

Ils atteignirent Montandre à midi et se séparèrent. Rêvant bain de pied et tisane de chanvre, Anatole conduisit Sahrane recouverte d'un voile jusqu'à sa chère demeure. Polaris avait affaire en ville pour regarnir les provisions du traîneau. Il y croisa le préfet Markham sur les marches de la maison longue en grande conversation avec Isobaï, cette trappeuse gobeline qui les avait invités dans son chariot en plein blizzard, et qui le désignait du doigt. Étonné et curieux, il s'approcha.

Pendant ce temps, Anatole avait déjà préparé sa bassine. Les racines de charde sèches et la poudre de millefeuille infusaient lentement l'eau chaude et propageaient leur accueillante vapeur dans la pièce. Ses pieds étaient enfin libérés de ses bottes, son manteau au clou, son cou enveloppé dans sa peau de renard blanc. Il s'effondra au ralenti dans la bergère, près du foyer qui crépitait, la bassine à ses pieds, et posa son gilet d'intérieur sur ses genoux avant d'étendre lentement les jambes en un grand craquement. Au moment où il trempa le premier orteil, quelqu'un frappa. C'était Copper, l'apprenti de Macréadus le scélérat. Ce "mage" prétentieux ne perdait décidément pas une occasion de l'importuner. Que lui voulait-il, encore ? Reconnaître enfin qu'il n'était qu'un parvenu dont seule la richesse l'avait sauvé de l'ignorance, et encore, bien peu ? C'eût été trop beau ! Il pria Sahrane de se retirer dans la chambre et alla lui ouvrir, dépité. Comment aurait-il pu prévoir que Copper était en réalité venu lui demander son aide pour retrouver son maître ? Retiré dans sa cabine d'été, où il conduisait les expériences trop dangereuses pour être tentées en ville, cet idiot, cet imprudent, ce fat, n'avait pas reparu, bien qu'il eût dit à Copper voici plusieurs semaines qu'il rentrerait le lendemain. Après quelques simagrées rituelles, Anatole accepta, ne fût-ce que pour se débarrasser de Copper. L'eau commençait à tiédir dans la bassine, mais elle promettait toujours mille délices. Il referma la porte derrière l'importun et se remit en place, quand Polaris frappa.

Loxias, lui, était au Norois, l'auberge du vieux Sam, dans la chambre de sire Agréis le Terne, paladin de Helm, envoyé par l'ordre pour prendre des nouvelles de sa sainte mission. Les deux conversèrent longtemps, Loxias lui exposant dans les plus grands détails ses pérégrinations dans le Val, tandis qu'Agréis le tint au courant des derniers événements de la Côte et de l'Alliance des seigneurs. Ils partagèrent là-haut un repas frugal, presque en prières. Les signes du ciel n'étaient pas bons, ils le reconnurent tristement tous deux. Loxias lui fit promettre que, s'il venait à disparaître, ce qui était fort probable, l'Ordre devait revenir dans le Val en force. Le Protecteur ne pouvait laisser s'installer au nord de l'Échine les forces d'Asmodée, la confrérie de l'Arcane, pas plus qu'Auril, reine de l'hiver. Agréis promit qu'il transmettrait le message, mais son œil éteint avait eu l'air vaincu.

En descendant dans la salle, Loxias eut la surprise d'y trouver Anatole et Polaris déjà en pleine conversation avec Isobaï. De quoi s'agissait-il ? Iarl Nob, le chef du clan gobelin des hauteurs de Karkolok, cherchait à faire la paix. Isobaï devait trouver en ville les plénipotentiaires des Dix Villes et, bien sûr, elle avait pensé à eux. Il s'agissait donc de se rendre à Karkolok pour y signer un, comment appelez-vous ça, déjà ? Ah oui ! Un Très Tu. Un de ses accords qu'on passe en silence et sur lequel on ne revient pas. Mais elle préférait les prévenir : Iarl Nob n'était pas en odeur de sainteté, à Karkolok. Des rumeurs bruissaient d'un soulèvement. D'ailleurs, elle ne l'aimait pas tellement elle-même. Il ne pensait pas au bien du clan. Il envoyait les trappeurs chercher de vieux objets sans valeur, plutôt que des denrées et des bêtes. Il parlait bizarrement. Peut-être avait-il une idée derrière la tête ? Voulait-il fuir ? Trahir ? Elle l'ignorait. Ainsi prévenus, nos aventuriers s'accordèrent : ils partiraient le lendemain et, après un bref détour par la cabine de Macréadus, iraient à Karkolok voir ce qu'il s'y tramait.