[CR] Mystères à Whitby

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Lanoar
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Lanoar »

Hâte de lire le compte rendu par notre écrivain favori :mrgreen:
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Bon eh bien le scénar est terminé... Un très bon moment, avec toujours de l'excellent roleplay des deux joueurs et pas mal d'impro de ma part, sur l'air du MJ obligé de courir après son intrigue car les choses ne se sont pas passées comme prévu au début - mais dans ces cas-là, le but est que l'actual play soit plus satisfaisant que le scénario sur le papier et je pense que j'ai à peu près réussi mon coup... Par contre, l'ambiance de certaines scènes a été, disons, "un peu" gâchée par la teuf des voisins du dessus 8| (difficile d'installer un climat d'horreur psychologique quand des personnes avinées braillent "Papaoutai" à tue-tête à l'étage supérieur... :roll: ).

Hâte de lire le CR moi aussi... ;)
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Hello à toutes et à tous...

En attendant le CR de l'épisode 4 par Laurent, voici la suite du journal de son personnage - ces passages faisant référence à un intermède mené par mail entre l'épisode 3 et le 4, destiné à amener un de ses PNJ principaux. Les e-mails reçus par Mike et les "fausses pages web" sont dus à votre serviteur.  :mrgreen:
 
Journal de Michael Beckman
 

Whitby, 4 juillet 2022

Si on m’avait dit, il y a un an, que je passerais la Fête Nationale dans une ville perdue du fond de l’Indiana, j’aurais sans doute ricané. Le New-Yorkais que j’étais alors a disparu et ses ricanements avec lui.

Dans le brouhaha, dans les cris et le rires, dans le vacarme du feu d’artifice, j’ai retrouvé une partie de mon passé. Partager un pot de pop-corn avec Sondra fut l’un des meilleurs moments de ces derniers mois. Les épreuves traversées récemment se sont retirées dans l’ombre, l’espace d’une soirée.

En rentrant à la maison, accompagné de Dorothy, je crois que je souriais.

Whitby, 10 juillet 2022
 
Chaleur écrasante, cette nuit.
 
Dans ma boîte mail, j’ai trouvé un étrange message. Ce n’est pas la première fois que des chasseurs d’étrange me contactent, persuadés que ce je raconte dans mes romans est vrai, mais ce Zak Loomis me semble différent.
 
Cher monsieur Beckman,

Permettez-moi, avant toute chose, de me présenter. Mon nom est Zak Loomis, producteur et principal présentateur de STRANGER STUFF, podcast vidéo consacré au paranormal et à l’étrange, dont vous avez peut-être entendu parler (ou même déjà suivi, ce qui serait un immense honneur !). Nous avons récemment franchi la barre des 100,000 abonnés, ce qui nous place devant PARANORMAL STATES OF AMERICA et presque à égalité avec INTO THE WEIRD…

Je me permets de vous contacter car nous comptons bientôt enregistrer une émission consacrée à votre petite ville de WHITBY et à certains des événements étranges qui émaillent son histoire, depuis la légende du Décharné (que je vois, personnellement, comme le prototype historique du futur Slenderman…) jusqu’aux récentes disparitions non-élucidées survenues autour du centre d’Amblin House. A priori, la mise en ligne serait prévue pour la fin de l’année – avec une réalisation courant Octobre.

Conformément à la tradition de STRANGER STUFF, nous comptons réaliser l’essentiel du contenu sur place… et c’est à ce titre que je me
permets de prendre contact avec vous. En tant que natif de Whitby et, surtout, en tant qu’écrivain d’horreur à succès, vous pourriez apporter à notre épisode une plus-value certaine, à la fois sur le plan du « lore » local que par votre point de vue unique et, disons, « professionnel » sur l’étrange et le surnaturel. Et cela vous donnerait aussi une occasion privilégiée de parler de votre travail et de votre regard sur le réel… et l’irréel 

En espérant que vous serez intéressé par ce projet,
 
Cordialement,
Zak Loomis

PS : Friday, notre documentaliste, est une fan absolue de vos romans ! Elle tenait absolument à ce que je vous le précise – voilà qui est fait !
 
Renseignements pris, Loomis fait partie de ces passionnés d’étrange dont le Net regorge. Son site web affiche un sommaire qui doit valoir son pesant de clics. En bas de son top 10, un nom m’a fait frémir:

WELCOME TO STRANGER STUFF

STRANGER STUFF - TOP TEN EPISODES!


MEET THE STRANGER STUFF TEAM!
 
Quitte à ne pas dormir, autant se renseigner : j’ai visionné les épisodes proposés sur le site. Ils sont du même tonneau que la plupart de ceux qu’on trouve dans ce registre : des vidéos tremblantes réalisés par de gentils allumés persuadés de côtoyer quelque chose lors de leurs expéditions. Mais, quelque part, dans un recoin de mon cerveau, un signal d’alarme s’est mis en marche. S’il n’y avait pas qu’à Whitby que ce No Man’s Land distille ses horreurs ? Et si Loomis et ses acolytes savaient quelque chose ?
 
De Mikebeckmann@aol.com
A :Zloomis@strangerstuff.com
 
Cher Monsieur Loomis,
j’ai bien pris connaissance de votre demande. Cela m’a donné l’occasion de découvrir votre activité
L’attention que vous apportez à mon œuvre et à la petite ville de Whitby me touche énormément. Je serais ravi de participer à l’une de vos émissions.
Cordialement,
 
M. Beckman
 
 
Il va falloir que j’en touche un mot à Ray, qui veut de plus en plus maîtriser la communication de ses auteurs. Cela dit, tel que je le connais, il sautera sur l’occasion : une promo pareille, ça ne se refuse pas. Mais lorsque viendra le moment de la rencontre avec l’équipe de Stranger Stuff, il me faudra être prudent, je le sais.
 
Ce fichu signal d’alarme continue de clignoter, au fond de mon crâne. Pourquoi ?
 
Bedford, 8 septembre 2021
L’après-midi n’en finit pas et je tâche de faire bonne figure malgré la chaleur étouffante qui m’accable. Sous mes doigts, le smartphone vibre quand la réponse de Ray me parvient. Oui, ma venue dans cette convention est nécessaire et non, il n’est pas question que je m’esquive, au risque de décevoir les lecteurs venus pour me rencontrer, même si ces derniers ont visiblement du mal à localiser cette petite ville du New Hampshire.

-Monsieur Beckman ? Je peux avoir une dédicace ?
Je relève la tête et affiche le sourire réglementaire, tout en tendant la main vers le livre que tient le jeune homme devant moi.
- Bien sûr… comment vous appelez-vous ?
- Ward.. mais mes amis m'appellent Moose.
Je commence à signer son exemplaire de “Man in the shadow” et lui lance un clin d’œil complice. Il se dandine d’un pied sur l’autre, mais ce n’est pas parce que je l’intimide. Puis, il finit par murmurer :
- C’est vrai, n’est-ce pas ?
- Pardon ?
- Ce que vous racontez dans vos livres, c’est la vérité…hein, Monsieur Beckman ?
Dans ses yeux brille une étrange flamme, où je lis un mélange d’exaltation et de soulagement. Un frisson glacial me parcourt le dos, malgré la température, sans que je comprenne pourquoi.
Je cherche mes mots, mais me contente de sourire à Ward, devant moi. Le temps se fige et la peur me paralyse, durant ce qui me semble une éternité. Puis je débite les formules habituelles, suffisamment rationnelles pour ne pas passer pour un cinglé et assez floues pour ne pas braquer mon interlocuteur. Ce jour-là, je ne sais pas si je crois à ce que je raconte.
 

Whitby, 18 août 2022

Clap de fin pour « Les persécuteurs », dont je viens d’envoyer le dernier chapitre à Ray, aux environs de 2 heures du matin. Je n’ai pas mis le nez dehors depuis presque deux semaines.
 
Pour célébrer cela et me remettre au contact des humains, Dorothy organise ce soir un barbecue, auquel elle a invité une vingtaine de personnes.
 
Whitby, 12 septembre 2022

L’équipe de Stranger Stuff m’a recontacté, en la personne de la fameuse Miss Friday, documentaliste du groupe. Elle arrivera à Whitby début Octobre, avec le « médium » attitré de l’équipe, Paul Karminski, afin de repérer les lieux et de prendre contact. La semaine suivante, Zak Loomis, la star de Stranger Stuff débarquera et procédera lui-même à mon interview, que Miss Friday et moi aurons préparé en amont.
 
Demain, cette ambassadrice de Stranger Stuff viendra sonner à ma porte. J’ignore toujours que penser d’eux.
 
Whitby, 13 septembre 2022

Au premier abord, Miss Friday (de son vrai nom Frederica Addams) a tout d’une jeune femme très sympathique et très professionnelle. Il est évident qu’elle a préparé sa venue : elle connaît déjà presque toute l’histoire locale. En préambule à notre entretien, elle m’a demandé de lui dédicacer son vieil exemplaire de « L’homme dans l’ombre », sans doute lu et relu, vu son état. J’ai cru déceler son visage un léger rougissement lorsqu’elle m’a avoué que c’était elle qui avait rédigé le premier mail qui m’était parvenu, et non Loomis. Avec le recul, elle m’a avoué avoir presque honte d’avoir eu recours à pareil subterfuge.
 
Après quelques échanges sur mes romans et l’histoire de Whitby, la jeune femme a orienté la conversation sur toute autre chose. Sans que je comprenne comment elle s’y était prise, Miss Friday a évoqué « l’affaire Nigel White ».
 
Un frisson a parcouru mon dos. Je me suis senti un instant comme un animal pris au piège. J’ai su à cet instant qu’avec son grand sourire, elle m’avait amené là où elle voulait m’amener depuis le début. Durant quelques secondes, qui m’ont paru une éternité, j’ai fixé mon interlocutrice. Dans ma tête, une voix me hurlait d’arrêter cette conversation tout de suite (elle sait ce qui s’est passé, tu es foutu, Mike !), tandis qu’elle évoquait le marshal Wesson (ils savent tout, déballe le morceau ou mets-la dehors) et racontait qu’une femme-médecine indigène (tais-toi, Mike, débarrasse-toi de cette fille) avait été impliquée dans ces événements (ils savent pour Nigel, pour toi, pour cette saloperie de No Man’s Land, mais qui sont ces gens ?).
 
Mon cerveau carburait à plein régime, mais j’étais incapable d’ordonner deux pensées. J’avais l’impression de dévaler une pente sans pouvoir me rattraper, certain de m’écraser au sol.
 
- Mr Beckman ?
 
Toute sourire, Miss Friday attendait que je déballe mes souvenirs. La petite voix me murmurait de me confier à elle, de tout lui dire (ça te ferait du bien, Mike, songe comme ce serait bon de partager ce fardeau) au sujet de Willie, de la chose sous terre, du rituel (ces gens t’écouteraient, eux, tu ne serais plus seul).
 
- Vous évoquez une époque lointaine...je n’étais qu’un gosse, alors, Miss Friday.
 
Je pris une grande respiration, puis détournai un instant le regard (tu as peur de te trahir, Mike?), avant d’expliquer que Nigel était un de mes meilleurs amis, et que sa disparition (sa mort, Mike, sa mort) m’avait profondément meurtri. Peu après, mes parents avaient divorcé et j’avais suivi ma mère à Indianapolis (Mike, tu n’oublies rien?).
 
- Je crains de ne pas me souvenir de beaucoup plus, hélas.
 
La voix s’était tue. La panique refluait, battue en brèche par la raison. Elle avait préparé sa venue et  connaissait son dossier sur le bout des doigts, c’était tout. Il n’y avait pas d’autre explication.
 
Je me pensais sorti d’affaire. C’est alors qu’elle m’a questionné sur Amblin House et les récentes disparitions qui avaient eu lieu là-bas (elle sait tout). Elle savait que j’avais un lien privilégié avec certains des pensionnaires (tu ne t’en sortiras pas comme ça, Mike).

- Je pensais que nous allions parler de ma ville et de mes romans, Miss Friday ? Je ne suis pas sûr de pouvoir vous éclairer au sujet de ces disparitions…
 
Avec le temps, j’ai appris à faire façade, lors des rencontres avec les professionnels de l’édition, les journalistes ou le public. Mais, chaque fois, cette bataille en moi est incertaine (parle, Mike, elle sait quelque chose, ces gens pourraient t’aider, qui sait?). Elle insista, sans se départir de son joli sourire, qui aurait amené n’importe qui à lui confier ses pires secrets :

- Vous semblez bien connaître ces jeunes gens, qui furent au centre de cette affaire.
 
Je l’interrompis.
 
- Écoutez, Miss Friday. Je vois mal où vous voulez en venir. Je pensais que notre entretien tournait autour de cette ville et, accessoirement, de mes romans, pas de qui je fréquente ou ai fréquenté, il y a des années. Je pense que nous faisons fausse route.

J’ai essayé, tout au long de ma tirade, de garder une voix calme et de ne pas y laisser apparaître la moindre vibration d’agacement ou de peur. Après une pause, à la fois pour observer sa réaction, et pour vérifier que cette maudite voix n’allait pas revenir à la charge, j’avalai une gorgée de café, pour gagner encore quelques secondes. Il était froid.

- Je vais refaire du café. Une tasse ?

Lentement, mon cœur reprenait une cadence normale. J’espérais qu’elle ne s’était pas rendue compte de la panique qui m’avait envahi. Il me fallait rester calme et ne pas me mettre à dos l’équipe de Stranger Stuff. Un bad buzz serait désastreux, à quelques semaines de la sortie de mon dernier roman. Ray ne me le pardonnerait pas.
 
- Écoutez, Mike... Je peux vous appeler Mike, n'est-ce pas ?  Ce sont vraiment ces sujets-là que Zak compte aborder en priorité lors de l'entretien... Bien sûr, on évoquera vos œuvres et votre regard unique d'écrivain mais au niveau, hum, rédactionnel, c'est ce "lore" de Whitby qui constitue notre vrai sujet... Bien sûr, tout ceci sera monté, on ne gardera pas tout…
 
Elle ne renoncerait pas, et n’était que l’ambassadrice de Loomis. Ce dernier et son équipe savaient déjà ce qu’ils venaient chercher à Whitby. J’étais pour eux le témoin idéal et ce que je pourrais dire allait être soigneusement sélectionné au montage, afin de valider leurs thèses (tu es piégé, Mike, ces gens sont plus malins que toi). J’abattis ma dernière carte :
 
- Encore une fois, Miss Friday, je crains de ne pas pouvoir vous apporter quoi que ce soit au sujet de ces affaires. Quant au montage final…
 
Je laissai passer le temps d’un battement de cœur :
 
- J’imagine que ma participation à votre reportage m’autorisera à donner mon aval à ce qu’il contient, me concernant… ou pas, d’ailleurs. Mon agent est très soucieux de mon image. Par les temps qui courent, vous comprendrez…
 
Pour la première fois depuis le début de l’entretien, Miss Friday perdit son beau sourire. Je compris alors qu’elle avait été missionnée par Loomis et pouvait difficilement revenir bredouille. Avant que ne revienne la voix dans ma tête, j’ajoutai :
 
- Je ne vous serai d’aucune aide pour le genre de reportage que vous envisagez. Nous nous sommes mal compris, je pense et j’en suis le premier navré. Cette rencontre aura au moins eu le mérite de nous permettre cet échange.
 
Je me suis demandé ce que Ray aurait pensé de cette soudaine assurance que j’affichais, lui qui déplorait mes lacunes en matière de relations publiques. Face à moi, sa tasse vide entre les mains, Miss Friday semblait sincèrement navrée, mais je pense qu’elle comprenait ma position.
 
-Je suis désolée que les choses n'aient pas été plus claires... je vais prévenir Zak... il risque d'être très déçu et...
 
Elle hésita un instant, puis reprit :
 
-Je comptais vous présenter Paul... Paul Karminski, notre investigateur psychique... il est descendu à l'Hoosier Hotel, lui aussi et il aurait bien aimé vous rencontrer... mais sans doute pour évoquer avec vous les disparitions d'Amblin House... Nous avons contacté la directrice du centre, miss...Kubasyk, c'est bien ça ?  Mais elle nous a opposé une fin de non-recevoir... (avec un petit sourire triste). Elle n'a pas l'air très commode...
 
C’était, je l’espérais, la dernière perche qu’elle me tendait. Je levai la main, comme pour stopper d’un geste les ultimes arguments qu’elle m’envoyait.
 
- Restons-en là, si vous le voulez bien, Frederica.
 
Le ton que j’avais employé était à la fois ferme et poli. Miss Friday, malgré son acharnement, m’était sympathique (fais-le pour elle, Mike), mais ma décision était prise. Je songeai aux reportages de Stranger Stuff que j’avais déjà visionné sur le web et à mon impression d’avoir affaire à des charlatans, comme pour me convaincre de m’éloigner de ces gens au plus vite.
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Journal de Michael Beckman

Whitby, 31 octobre 2022

Premier Halloween à Whitby depuis mon retour. Les mômes n’ont cessé de défiler depuis cet après-midi. Si seulement les horreurs avec lesquelles ils s’amusent ce soir…

L’ambiance de la ville est étrange. Mais cette impression vient sans doute de ce que je sais, de ce que j’ai vécu depuis mon retour.

Évidemment, la sortie cette semaine de mon dernier roman ajoute à la tension que je ressens. Comme chaque fois, je commence à travailler sur un prochain livre, pour oublier momentanément le précédent. J’ai envie de parler de…

- Halloween… la nuit où les portes de l’autre monde s’entrouvrent… J’ai lu ça dans un bouquin sur le folklore américain, déclara Nigel.

Autour du seau de confiseries, nous le regardons sans ciller. L’autre monde en question nous a déjà donné un aperçu de ce qu’il est. Les gosses qui défilent depuis quelques heures dans les rues de la ville ne savent pas ce qu’ils évoquent. Ce soir, notre tournée est finie et le salon est à nous.

- Mais Halloween, c’est aussi ça!

Nigel brandit fièrement la cassette VHS du film de Carpenter et ajoute immédiatement :

- Et ça !

Le deuxième volet des méfaits de Michael Myers sort du sac de Nigel. Nous l’applaudissons !

- Et, enfin…. Ça !

Et le troisième épisode, fraîchement sorti en vidéo, surgit à son tour. Nous n’avons jamais su comment Nigel réussissait à louer les VHS de ces films que nous étions trop jeunes pour regarder. Mais, cette nuit là, le gang of four a eu son content de glucose et de films d’horreur.


Whitby, 2 novembre 2022

Si je racontais ce que la nuit d’Halloween nous a fait vivre, on ne me croirait pas. D’ailleurs, ce ne serait pas plus mal. Mais je vais tenter de tout retranscrire ici, parce qu’il le faut.
Tout a commencé vers 23 heures, ce soir-là, ce fichu soir d’Halloween.

Alors que j’écrivais ce journal, mon téléphone a sonné : le numéro de Miss Friday, la documentaliste de Stranger Stuff, s’est affiché. Je la croyais partie depuis dix jours, après notre entretien. En me demandant pourquoi elle appelait à une heure pareille, j’ai décroché.

- Zak ?

- Bonsoir, Miss Friday, Mike Beckman à l’appareil…

Elle s’était trompé de contact et bredouilla une excuse, mais la panique dans sa voix, entrecoupée de sanglots, m’a empêché de raccrocher.

- Mike ? Je suis à l’hôtel...et il veut me tuer… il est devenu fou ! Mike, je suis vraiment dé…

Elle a poussé un grand cri, il y a eu un bruit sourd et on a raccroché.

L’hôtel ne pouvait être que le Hoosier Hotel, le seul de Whitby. J’ai fait ce que n’importe quel citoyen normalement constitué n’aurait pas fait. J’ai sauté dans la voiture et, tout en appelant Rose, ai foncé là-bas, en essayant d’éviter les mômes qui parcouraient encore les rues.

Notre nouvelle Town Marshal était déjà en route, prévenue par les gérants de l’hôtel. Je lui expliquai tant bien que mal que Frederica Addams, alias Miss Friday, m’avait appelé, pourquoi je la connaissais. J’entendais déjà la sirène de son véhicule.

Que se passait-il dans cette foutue ville, ce soir ?

Rose et moi sommes entrés ensemble dans le hall du Hoosier Hotel. Là, les deux propriétaires, Phil et Terry Macey, ainsi que leurs employés, Linford Lucas et Gillian Knapp, nous accueillirent avec soulagement. Leurs regards se dirigeaient vers l’escalier menant à l’étage. Une voix d’homme se faisait entendre, ainsi que des chocs sourds.

- Mike, tu restes là. J’y vais.

Rose gravit les escaliers quatre à quatre, taser en main, tandis que je restais avec les témoins. On défonçait une porte, là-haut.

- La chambre 12… c’est là, chuchota Linford. Ils sont là depuis quinze jours, sans aucun problème, et là…

- Police ! Mains en l’air !

La voix de Rose se fit entendre, là-haut. Elle était entrée dans la chambre 12 et découvert un homme brun, visiblement fou furieux, en train de défoncer la porte. Il se tourna vers elle, un sourire malsain sur le visage. Autour de lui, tout était en désordre sur le sol.

Sans hésiter, la Town Marshal déclencha le taser. Sous la décharge, l’homme tituba, puis se jeta sur elle, avec des gestes désordonnés. Tous deux roulèrent au sol. L’homme était animé par une énergie hors du commun et Rose dut sortir son pepper spray, puis lui en vaporiser une bonne dose pour qu’il la lâche. Elle se redressa, puis lui envoya une seconde décharge de taser pour qu’enfin, il s’immobilise. Elle le menotta au radiateur du couloir, puis retourna dans la chambre 12.

Dans la salle de bain, une jeune fille prostrée sanglotait, visiblement choquée.

- Qu’est-ce que c’est que tout ce chahut ?

Dans l’encadrement de la porte, le locataire de la chambre 15 faisait montre de son mécontentement. Il fut rapidement renvoyé dans sa chambre par Rose qui m’appela alors. J’arrivai après la bataille, mais soulagé : la policière n’avait rien et avait réglé la situation avec talent, une fois de plus.

J’entrai dans la salle de bain. Frederica Addams leva la tête et me tendit la main. Je l’aidai à se relever et nous nous assîmes tous les deux au bord du lit. Elle fondit alors en larmes contre moi, à des lieues de la jeune journaliste pleine d’assurance que j’avais rencontrée une dizaine de jours plus tôt.

L’homme étendu dans le couloir était Paul Karminski, le fameux investigateur psychique de Stranger Stuff. Quand Miss Friday put parler, nous comprîmes qu’il avait ouvert la porte de séparation entre leurs deux chambres et s’était jeté sur elle, comme s’il était défoncé. Il criait « cours Friday, cours ! » et semblait en proie à une folie meurtrière.

Bientôt, le docteur Maxwell arriva et prit la jeune femme en charge, tandis que nous nous tournions vers Karminski, qui revenait à lui. Il semblait émerger d’un cauchemar et ne comprenait pas ce qu’il faisait là. Dans sa chambre, Rose ne trouva rien de répréhensible. Le whisky et les médicaments sont encore autorisés, dans l’Indiana…

Quand Ward, l’adjoint de Rose, arriva enfin pour lui porter assistance, elle lui confia Karminski, afin qu’il le place en cellule pour la nuit et lui fasse passer les tests de détection de drogues. Puis, elle se tourna vers le docteur Maxwell. Miss Addams avait besoin de repos mais craignait de passer la nuit dans sa chambre, après ce qui s’était passé.

Je proposai de l’accueillir pour la nuit et, bientôt, nous prîmes la route.

Durant le trajet, elle hésita plusieurs fois à appeler Loomis, mais je réussis à la convaincre d’attendre le lendemain. Il lui fallait avant tout du repos. Ensuite, viendrait le temps des décisions.

Minuit était passé lorsque Dorothy fit chauffer l’eau pour le thé. Elle avait accueilli Frederica sans chercher à comprendre ce qui s’était passé. Le temps que j’aille préparer la chambre d’amis, elles avaient sympathisé. Je restai un peu dans l’ombre, les observant.

Dire qu’il y a quelques mois, j’ignorais tout de Dorothy, belle-mère tombée du ciel, dont j’estimais maintenant ne plus pouvoir me séparer !

La nuit n’était pas terminée, cependant. Rose n’a pas chômé, pendant que nous accueillions Miss Friday. Elle commença par interroger les témoins de l’agression, Linford Lucas et Gillian Knapp. Si la réceptionniste était particulièrement choquée, le garçon d’étage se montrait plus loquace : fan de Stranger Stuff, il raconta avec force détails ce qu’il avait entendu. D’après lui, Karminski n’avait rien à envier au Nicholson de « Shining » quand il s’était pris à sa collègue : sa voix était déformée et son rire paraissait forcé, à mille lieues de la mine sombre qu’il affichait depuis son arrivée à l’hôtel. Dans les éclats de voix qu’il avait entendu, des mots revenaient : « Charlatan » , « Trucage ». En quittant l’Hoosier Hotel, notre Town Marshal était perplexe, mais pas au bout de ses peines…

Au poste de police, elle retrouva le Dr Maxwell, qui lui confirma que Karminski avait un taux d’alcoolémie important, mais qu’il n’était pas sous l’emprise de drogues. C’est alors que Maxwell raconta à Rose un souvenir d’Halloween qui prenait pour lui une résonance particulière. Des années plus tôt, il y avait eu, ce soir-là, un suicide à l’hôtel. Une femme s’était ouvert les veines dans sa baignoire, dans la chambre 13.

Depuis, comme pour conjurer le mauvais sort, cette chambre portait le numéro 14.
Celle où logeait Karminski.

Dans sa cellule, ce dernier expliqua à Rose qu’il ne se souvenait de rien. L’investigateur psychique, Karminski-the-ghostfinder, ricana amèrement et lâcha son secret à la Town Marshal : il n’était pas medium. Tout ça, Stanger Stuff et le reste, c’était du bluff.

Pourtant, depuis qu’il était à Whitby, il ressentait une drôle d’impression, comme si on l’épiait sans cesse. Pour la première fois de sa carrière, Paul Karminski sentait quelque chose. C’est pour cela qu’il avait voulu rester.

Il y avait quelque chose dans cette ville, une présence diffuse qu’il ressentait.

Ce soir, en se baladant dans ce patelin bizarre, il avait d’ailleurs croisé la femme de la chambre 13. Ils avaient parlé, lui et cette femme blonde un peu étrange, mais il ne se souvenait plus des mots qu’ils avaient échangé.

Épuisé, il s’allongea sur la banquette de la cellule. Rose s’installa dans son bureau, tout en gardant un œil sur le prisonnier, puis fouilla les archives. Elle trouva sans peine le dossier relatif à la suicidée de la chambre 13.

La chambre qui n’existait plus.

- Trick or treat !

Les gosses n’arrêtent pas de défiler dans la rue, depuis cet après-midi. C’est à qui aura le costume le plus effrayant et la plus grosse récolte de confiseries.

Halloween est un jour particulier, pour un écrivain d’horreur, comme on me définit parfois.
C’en est un. Ce jour-là, je reste cloîtré chez moi. Tout l’éclairage de mon appartement de Brooklyn est allumé, pour ne laisser aucune place à l’ombre. Alors que tout le monde autour de moi joue à se faire peur, je suis pétrifié par l’angoisse et je ne sais pas pourquoi.

En 2013, l’hôtel s’appelait encore le Whitby Hotel et appartenait à Mr Grant. La femme qui avait choisi la chambre 13 pour mettre fin à ses jours le soir d’Halloween était une certaine Mary Clarke, alias Meredith Clare, puisqu’elle exerçait, elle aussi, le métier de medium.

Elle avait été en vue dans les années 2000 et avait publié plusieurs ouvrages, à l’époque, avant de tomber dans l’oubli, dépassée par les nouveaux arrivants du secteur. En fouillant sur internet, Rose découvrit que Meredith Clare évoquait des « messages positifs de l’au-delà » Elle était venue à Whitby, attirée par de vieilles affaires un peu étranges, dont l’affaire White, du nom de ce jeune garçon disparu sans laisser de traces.

Nigel White.

La nuit n’en finissait pas, comme si l’aube n’osait pas se montrer et délivrer enfin Whitby. Vers 4 heures du matin, Rose reçut un appel de Linford Lucas, l’employé de l’Hoosier Hotel. Il se passait quelque chose à l’étage. La chambre 14 était devenue la chambre 13 et, derrière la porte, on entendait des bruits étranges.

Quand elle m’appela, je ne dormais toujours pas. Nous nous rejoignîmes à l’hôtel, maudissant tous les deux cette fichue nuit d’Halloween.

Octobre 1983 : c’est le premier Halloween pour le gang of four. En traversant le quartier de Greenwood, nous sommes passés devant le vieux cimetière et, d’un coup, mon sang s’est glacé. J’ai jeté un œil sur le côté et j’ai vu que Nigel, dans son costume de Comte Dracula, avait lui aussi senti quelque chose.

- On devrait pas traîner ici, les gars…

La voix de Sondra, d’habitude assurée, est hésitante. Nous changeons de trottoir et accélérons le pas. Je fixe un point loin devant moi, pour ne pas me retourner, pour voir ce qui nous suit.

Ted m’a confié, quelques jours plus tard, qu’il l’avait vu aussi, à la limite de son champ de vision.


A l’entrée de l’hôtel, Gillian Knapp nous accueillit, désemparée. Linford était monté à l’étage, afin de filmer ce qui se passait dans la chambre 13. Sans réfléchir davantage, nous grimpâmes l’escalier quatre à quatre.

La porte de la chambre 14 était remplacée par une autre porte, vermoulue et arborant son numéro 13. Des bruits de raclements se faisaient entendre et un rai de lumière passait par l’entrebâillement. Linford était entré. A l’intérieur, quelqu’un chantonnait. Le cœur battant, nous entrâmes.

Le décor n’avait rien à voir avec celui de tout à l’heure. Les murs étaient couverts de moisissure et de taches noires. Les ténèbres grignotaient chaque recoin de la chambre. Sur le fauteuil délabré, quelqu’un était assis et nous attendait.

- Meredith Clare, murmura Rose.

La femme nous fixa, un sourire mauvais sur le visage.

- Salut, Mike. Des nouvelles de Nigel ?


Mon sang se glaça dans mes veines. Je voulus répondre crânement, mais ne put que bafouiller, tandis que la femme se tournait vers Rose :

- As-tu vu le Wendigo, récemment ?

(à suivre)
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

(suite et fin du CR de notre épisode 4 - encore merci à Laurent pour ce formidable boulot  :yes: )

Journal de Michael Beckman
 
Le No Man’s Land, il était là, devant nous. Je sentis une onde glacée me parcourir de la tête aux pieds, comme si quelque chose voulait s’emparer de moi. Je m’accrochai : nous y étions déjà allés, et en étions revenus.

La chose qui avait le visage de Mary Clarke continuait :
- J’avais envie de m’amuser un peu, de passer de l’autre côté. Chaque année, à la même date, je vous rends visite.

Son visage changeait par ondulations, ce n’était plus la femme qui était morte ici quelques années plus tôt. Rose et moi posâmes la même question en même temps :

- Où est Linford ?

L’émanation devant nous ricana :

- Il prend un bain !

Sans réfléchir davantage, nous bondîmes vers la salle de bain. Le jeune homme était dans la baignoire, à demi immergé dans une eau rouge de sang. Il était plus pâle qu’un linceul. En quelques instants, il fut sorti de l’eau et nous fîmes des garrots de fortune sur ses poignets avec les serviettes de toilette.

L’ombre était toujours là, mais n’avait maintenant plus rien d’humain. Rose se tourna vers elle :


- Mary ! Mary Clarke !

Un frémissement parcourut la chose. Mon amie avait visé juste et le pouvoir devant nous cessa de se répandre, comme le sang des plaies de Linford.

- Mary Clarke, vous étiez une fraudeuse, vous aussi… cette chose vous a piégée !

Nous nous regardâmes : autour de nous, la pièce semblait se déformer. La créature voulait nous capturer et nous emmener avec elle quand la pièce disparaîtrait.

- La guerre va bientôt avoir lieu… Ils vont revenir, tous, le Veilleur sur le Seuil, le Moharahani, les hommes en gris, l’Agence, les Shonookins, Ceux qui étaient là avant les êtres humains. Vous périrez tous !

Les murs et le sol de la pièce me parurent se plier puis se déplier, comme soumis à des forces et des lois hors de ma portée. La tête me tourna un instant, puis, quand j’ouvris les yeux, je découvris autour de moi le décor de la chambre 14.

De l’autre côté du mur, des cris se firent entendre, presque rassurants : le client de la chambre 15 hurlait son exaspération. Je crois que j’aurais pu l’embrasser.


- Hey, Ted !

La fenêtre à l’étage s’est ouverte et le visage de Teddy s’est dessiné dans l’obscurité. J’avais chuchoté, mais dans la nuit tombante, j’avais l’impression d’avoir crié.

- C’est bon, je descends, Mike, a-t-il répondu, avant de commencer à descendre le long de la gouttière, souple comme un chat.

Je n’en menais pas large et mon cœur battait la chamade jusqu’à ce qu’il me rejoigne.
- T’inquiète, mes parents sont devant leur émission. On pourrait casser la vaisselle sans qu’ils entendent. T’es prêt ?
J’ai hoché la tête. Dans mon sac, j’avais tout l’équipement nécessaire à l’opération. Nous avons commencé à marcher en silence, comme deux ombres. Puis, nous avons allumé nos walkies-talkies.

- Nigel, tu nous reçois ? A toi, a appelé Ted.

- Red Leader à Gold Leader, bien reçu. On a des noms de code, Ted. A vous.

- Gold Leader à Red Leader, désolé. On sera sur place dans cinq minutes. Où en êtes-vous ? A vous.

- Red Leader à Gold Leader : Cerbère fait la sieste, la voie est libre.  A vous.

Ce soir-là, nous nous sommes faufilés jusqu’à la vieille bâtisse et avons fait ce qu’il fallait.

En rentrant, peu avant l’aube, j’ai jeté mon sweat-shirt déchiré et taché de sang. J’ai pansé tant bien que mal la plaie sur mon bras. Au matin, j’ai prétexté une forte fièvre pour ne pas aller en cours et j'ai dormi toute la journée. Personne n’a jamais su ce que nous avions affronté, pendant cette nuit d’Halloween...


Le Docteur Maxwell n’a pas beaucoup dormi, cette nuit-là. Quand nous sommes redescendus dans le hall de l’hôtel, nous lui avons confié Linford, plus mort que vif et il a fallu peu de temps pour qu’il l’accompagne dans l’ambulance, vers l’hôpital de Wabash.
- Karminski !
N’importe quel être humain se serait écroulé de fatigue dans le premier fauteuil venu et j’étais à deux doigts d’en faire autant. Mais Rose n’allait pas se reposer maintenant.
Le faux medium de Stranger Stuff était seul dans sa cellule et la chose qui s’en était prise à nous n’allait pas lâcher cette proie si facilement.

Alors que je restais à l’hôtel, pour veiller sur Gillian Knapp et les époux Macey, elle fonça jusqu’au poste de police, le cœur battant la chamade, espérant qu’il ne soit pas trop tard.

Quelques minutes plus tard, son numéro s’afficha sur mon smartphone :


- Mike, je l’ai trouvé inconscient, il est blessé… il y avait une tache de sang sur le mur, elle est revenue… la femme de la chambre 13.

J’entendais derrière sa voix le bruit du moteur. Comme pour répondre à ma question, elle ajouta :
- Je l’emmène à l’hôpital.

Le jour se lève, sur le parking du Wabash General Hospital. Le Docteur Maxwell s’approche de Rose Wu, un gobelet de café à la main. Ils restent silencieux un long moment, contemplant le ballet des ambulances.

- Cette ville est malade, Town Marshal.

Rose hoche la tête, puis avale une gorgée de café.

- Docteur, il faut que vous sachiez quelque chose…

C’est ainsi que le Docteur Maxwell apprit l’existence de la chambre 13 et du No Man’s Land. Il ne parut pas surpris. Après tout, en bon praticien, il avait pu observer tous les symptômes de la maladie. Il ne lui restait plus qu’à mettre un nom sur celle-ci.

Le soleil se leva lentement, comme s’il rechignait à éclairer ce morceau de terre...

Alors que le mois de novembre n’avait que quelques heures, le fameux Zak Loomis a fait son apparition à Whitby, mis au courant des derniers événements par Frederica. Il était flanqué d’un individu que j’identifiai immédiatement comme étant son avocat.

Il me serra la main en affichant son plus beau sourire et ajouta :


- Cette ...triste affaire ne doit pas s’ébruiter, Mr Beckman. J’imagine que vous le comprenez.

Miss Friday me fit ensuite ses adieux, en me jetant un dernier regard où je lus à la fois le regret et la peur. Elle tenta de sourire, mais ne produisit qu’une grimace maladroite.

- De toute façon, Stranger Stuff, c’est terminé, déclara Loomis, fièrement.

Devant mon regard interloqué, il ajouta :


- Je ne peux encore rien révéler, mais ce sera une grande nouvelle !

Quand leur voiture de location s’éloigna, je n’avais plus qu’une envie : dormir une centaine d’années.

Whitby, 17 novembre 2022

Il nous a fallu quelques jours pour récupérer de cette nuit d’Halloween, à Rose et à moi. Et puis, la vie a repris et ce que nous avons vécu pendant ces heures s’est lentement dissous, comme les détritus s’évacuent dans les caniveaux.

J’ai reçu tout à l’heure un appel de Miss Friday. Elle a parlé de Loomis, pour qui les choses alalient au mieux, puisqu’il animera bientôt un show télévisé sur le câble : Paranormal States of America. Puis, la gorge serrée, elle m’a annoncé que Paul Karminski était mort trois jours plus tôt, victime d’une overdose. Quant à elle, ce chapitre de sa vie allait bientôt se refermer : elle ne voulait plus travailler avec Loomis, ni approcher de près ou de loin ce genre d’affaire.

En raccrochant, je lui ai souhaité le meilleur, mais je sais que les cauchemars, eux, ne dorment jamais.


Whitby, 24 novembre 2022

Pour mon premier Thanksgiving depuis que je suis revenu à Whitby, Dorothy a mis les petits plats dans les grands. Cette femme délicieuse avait invité tous ceux qui me sont devenus chers ici. Autour de nous, se trouvaient Rose, Sondra, mais aussi Lex, Luke, Raven et Willie.

Dehors, un vent froid soufflait sur la petite ville, mais il semblait épargner notre petite assemblée, aujourd’hui.

Avant le repas, Rose et moi avons parlé avec Willie, de ce que la chose nous avait dit dans la chambre 13, la chambre qui n’existait pas.

- Shonookins, répéta-t-il, comme frissonnant sous l’effet d’une sensation désagréable.

Puis le sage Willie se tourna vers nous :

- Quant à l’Agence, ces gens qui n’existent pas, officiellement… cette Agence, je la croyais démantelée depuis plus de vingt ans.

Il fixa Raven qui hocha la tête et conclut :

- Nous en reparlerons...quand nous serons prêts.

J’entendis Dorothy appeler : il était temps de passer à table. Une odeur délicieuse nous parvenait de la salle où des rires joyeux se faisaient entendre.


L’hiver vient sur Whitby, sur ma ville. Qui sait ce que nous réserve 2023 ?
 
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Hello à toutes et à tous !

Laurent (alias Mike), Sylvie (alias Rose) et moi avons joué hier soir le premier épisode de la saison 2 de Mystères à Whitby, intitulé Blizzard... et ce fut un super-moment, tout en tension dramatique ("On était en apnée..."). :mrgreen:

En attendant le CR de Laurent, voici la suite du journal de son perso, Mike, couvrant la période non-jouée entre les deux saisons. Bonne lecture et à très bientôt !

Journal de Mike Beckman

Whitby, 4 décembre 2022

Encore une nuit sans sommeil.

Même si je me tiens à ma résolution de ne pas lire les avis des différents sites au sujet des “Persécuteurs”, l’inquiétude me ronge un peu plus à chaque roman. Et, durant la nuit, cette angoisse prend une dimension monstrueuse.

J’ai failli appeler Sondra parce que j’avais besoin de lui parler, puis me suis ravisé, préférant lui épargner mes angoisses. Et puis, je me suis rappelé de ce que la chose nous avait dit, à Rose et moi, dans cette fichue chambre 13, et ai fait quelques recherches sur internet.

Cette fichue Agence est l’objet de pas mal de rumeurs et de théories du complot, au point qu’il est difficile de démêler le vrai du faux, ou plutôt le vraisemblable du délirant. Mais il semble bien qu’une officine digne des X-Files ait existé, au vingtième siècle.

En 2001, après les attentats (décidément), elle aurait été démantelée, car jugée trop coûteuse, le gouvernement préférant mettre le paquet sur la lutte antiterroriste. Voilà pour la version presque officielle.

Voilà que je me mets à employer le langage des complotistes.

En tout cas, selon certains d’entre eux, cette Agence existe toujours, mais serait maintenant financée par des intérêts privés et s’appellerait dorénavant la Fondation.

Évidemment, je n’ai trouvé aucune preuve formelle de cette histoire. Si j’avais sombré dans le complotisme, cela prouverait, à mes yeux, que le secret est bien gardé.

New York, 10 décembre 2022

La nuit est tombée sur New York et des flocons de neige commencent à danser dans l’air. Après l’après-midi passé dans la librairie, à répondre aux questions du public et des quelques journalistes présents, j’ai rejoint Sondra et nous avons marché dans Central Park, profitant de ce moment volé à mon planning surchargé.

N’importe qui aurait voulu que le temps s’arrête sur cet instant et le fige à tout jamais. Mais la petite voix en moi chuchotait, toujours. J’avais hâte de quitter cette ville et de retourner à Whitby. En regardant Sondra, j’ai su qu’elle aussi, n’attendait que le moment du retour.

Est-ce nous qui avons besoin de cette ville, ou elle qui nous réclame ?

Demain, après une série d’interviews qui devraient ravir mon agent, je serai enfin libéré de ces obligations et nous rentrerons chez nous.

Whitby, 17 décembre 2022

J’ai poussé ce matin la porte de la bibliothèque municipale, en apportant un thermos de café et des muffins préparés par Dorothy. J’étais sans doute le premier usager de la journée.
- Ca va, Mike ? Tu as mauvaise mine, ce matin..
- J’ai passé une sale nuit. Ca ira mieux demain, ai-je menti.
Sondra a poussé une tasse de café dans ma direction.
- Je sais que tu préfères ne pas les lire, mais on dit de bonnes choses sur ton dernier roman, dans ce magazine.

Même si je ne voulais pas l’admettre, elle avait enlevé une partie du poids qui m’écrasait la poitrine ces derniers jours. J’ai jeté un œil à la couverture, qui évoquait la nouvelle littérature fantastique américaine.
- Je suis très fière de toi, Mike, tu sais.

Et là, d’un seul coup, le fameux poids disparut.
- Merci, Sondra… ton avis compte plus pour moi que tous les autres.

Nous avons laissé un long silence s’installer. Puis, autour de nous, la vie a repris. Plusieurs citoyens de Whitby sont entrés dans le local, nous saluant d’un geste ou d’un sourire entendu. Comme si j’avais voulu justifier ma présence et dissiper toute rumeur, j’ai ouvert mon calepin, celui qui ne quitte jamais ma poche, et l’ai ouvert à la page où j’avais griffonné «Voice of the mountain-Manly Wade Wellman » et, un peu plus bas « Veux-tu dîner avec moi ce soir ? » et l’ai tendu à Sondra.

- Dis-moi, Sondra. Notre bibliothèque municipale détiendrait-elle ce titre ?

Elle a souri, a écrit quelque chose dans le carnet, me l’a rendu, puis a pianoté sur l’ordinateur devant elle. Le temps de quelques battements de cœur et elle me tendait un vieux livre.

- Celui-là, personne ne le demande jamais. Tu le sauves sans doute du rebut, Mike.

Il n’y avait pas grand-chose dans le bouquin de Manly Wade Wellman au sujet des fameux Shonokins. Ses connaissances en matière de folklore nord-américain étaient impressionnantes, mais il était persuadé d’avoir inventé ce nom, derrière lequel se cachaient des êtres malfaisants, prédécesseurs des native americans, qui disposaient de pouvoirs surnaturels.

Pourtant, bien avant la parution de sa nouvelle, en 1945, certains juraient avoir entendu parler des Shonokins. Wellman jurait ses grands dieux qu’il avait créé ces créatures de toutes pièces et je pressentais qu’il était sincère (par solidarité entre écrivains, sans doute).

Quand je suis sorti de la bibliothèque, Sondra rappelait à des élèves de la Middle School la règle des « pas plus de trois livres, pas plus de trois semaines ». Je lui ai lancé un clin d’œil complice et suis sorti.

Whitby, 18 décembre 2022

Je suis allé rendre visite à Willie et à Raven, au Wabash Lodge. La jeune fille semble s’épanouir, au contact de mon vieil ami, comme si elle retrouvait à ses côtés tout ce que la vie lui avait volé durant son enfance. Elle a mûri et affiche désormais une sagesse et une résolution qui font défaut à pas mal de gens censément plus matures.

Avant de partir, j’ai interrogé Willie au sujet des Shonokins. Selon lui, ces êtres ont existé, et peut-être existent-ils toujours. Profondément malveillants, ils peuvent cacher leur existence et même se faire oublier des humains. Il est possible, donc, que Wellman ait eu connaissance d’eux, puis ait utilisé leur nom, sans avoir le moindre souvenir d’eux. Selon certains sages, les Shonokins étaient les maîtres de ce continent, avant que les tribus indigènes ne s’installent. Ils auraient choisi de disparaître de la surface de la terre, pour ne revenir que lorsque les Êtres Humains auraient été soumis. Il semble pourtant que l’homme blanc, quand il extermina les peuples indiens, ne provoqua pas la réapparition des Shonokins.

Peu à peu, on oublia jusqu’à leur existence.

Et si c’était pour mieux préparer leur grand retour ?

Inutile de dire que mon imagination s’en est donné à cœur joie.

Los Angeles, 26 décembre 2022

Période oblige, j’ai sacrifié à la tradition et suis venu passer quelques jours chez ma mère pour fêter Noël en famille. Le tableau que j’en ai fait à Sondra n’a pas suffi pour la décourager de m’accompagner et elle a fait preuve d’une patience à toute épreuve.

La fête donnée par ma mère et son second mari fut un modèle d’étalage de réussites sociales en tout genre. Je crois que je n’ai jamais vu autant de silicone et de cartes visa gold dans une seule pièce. Ma place n’est pas ici. J’ai prétexté un rendez-vous avec mon agent pour rentrer dès ce soir dans l’Indiana.
D’ailleurs, j’écris ces mots du terminal de l’aéroport.

Whitby me manque.

J’ai besoin de cette ville et de ceux qui y vivent.

Mais Whitby a-t-elle besoin de moi ?

Dernière modification par Olivier.Legrand le mar. mars 28, 2023 7:53 pm, modifié 1 fois.
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Mystères à Whitby

Saison 2, Episode 1 : BLIZZARD

 
Journal de Mike Beckman
 
Whitby, 3 février 2023
Il a neigé abondamment sur Whitby, cette nuit. Devant moi, la rue est recouverte d’un tapis blanc qui étouffe le moindre bruit. D’ici quelques heures, les mômes du coin vont s’en donner à cœur joie, mais pour l’instant, je déguste ce calme, ma tasse de café à la main.
Une odeur de pancakes me parvient, de la cuisine toute proche. C’est à croire que Dorothy ne dort jamais.
- Je vous ai préparé un bon petit déjeuner, annonce-t-elle, rayonnante.
- Merci, Dorothy… je ne survivrais pas, sans toi.
Elle reste à mes côtés un instant, contemplant le paysage. Le ciel se charge de gros nuages venus de l’est. Il semblerait que nous n’en n’ayons pas fini avec l’hiver.
-  J’ai l’impression que ça ne va pas s’arranger. J’ai fait quelques provisions, au cas où…
Je lui souris, sachant très bien que nous pourrions tenir un siège, puis je frémis à cette idée. Un peu partout, dehors, le danger est là, prêt à nous assiéger s’il le faut. Quand viendra la prochaine attaque ?
- J’aime savoir que Sondra est là, tu sais.
Moi aussi, Dorothy, moi aussi…
 
 
Whitby, 6 février 2023
Depuis trois jours, le blizzard souffle sur Whitby. La petite ville, prise par le froid, est coupée du monde. Les liaisons téléphoniques ne fonctionnent plus, sans parler d’internet. Rares sont les habitants qui sortent de chez eux pour affronter l’hiver. Le blanc manteau qui recouvre Whitby a des allures de linceul.
Une tempête n’amène jamais rien de bon.
 
Whitby, 7 février 2023
Je ne sais pas pourquoi je continue à remplir ce journal, puisque je suis le seul à y avoir accès. Personne, à part peut-être Rose, ne croirait à ce qui y est écrit et je me refuse d’ailleurs à l’ouvrir à qui que ce soit. Pourtant, cela m’est indispensable, comme si donner corps à ce qui se passe ici m’empêchait de basculer.
 
Le docteur Wallis écrase sa cigarette dans l’énorme cendrier de cristal dans lequel le soleil crée de petits arcs-en-ciel que je fixe, fasciné.
- Madame Beckman, votre fils..
- Jenner, si vous voulez bien..
Le médecin corrige le nom de ma mère sur la feuille de papier posée devant lui, puis reprend :
- Votre fils souffre d’un syndrome post-traumatique, provoqué par l’incident dont a été victime son ami, ainsi que votre situation familiale. Il vit très mal votre… séparation.
- Et les… les horreurs qu’il dessine dans son carnet, ses histoires de monstres ?
- C’est une façon, somme toute assez classique, pour lui de concrétiser le trauma qu’il traverse… les monstres n’existent pas et, au fond de lui, Michael le sait bien…
Les mots me parviennent comme au travers d’un brouillard, puis me traversent sans s’arrêter, oubliés dès qu’ils sont prononcés.
Je voudrais juste que l’homme en blouse blanche me rende mes dessins.
 
J’ai eu cette nuit, un terrible cauchemar et la journée qui a suivi nous a conduit plus loin que je n’aurais pu l’imaginer.

Je dois commencer par le début.

(à suivre)
 
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Journal de Mike Beckman
 
Whitby, 7 février 2023 (suite)

Mon rêve a été plus intense, plus marquant que les variations habituelles qui sortent de mon cortex aux heures les plus sombres. J’ai d’abord eu droit à un nouveau cocktail de souvenirs, mélangés sans souci de cohérence, où j’ai retrouvé Nigel, l’Araigne, le Chien Noir, le Moharahani, la chambre 13 du Hoosier Holiday Hotel…
Et puis, à ces images s’est substituée une vision d’une netteté inhabituelle.
 
Au milieu de nulle part. Tout est blanc. Une bagnole perdue, dans le blizzard, roulant au pas, luttant contre la tempête de neige. Un pick-up Ford Ranger, d’un orange incongru dans cette blancheur aveuglante.
Peu à peu, je distingue la silhouette, puis le visage de la conductrice.
Raven.
Elle est seule au volant et, dans ses yeux, je lis l’anxiété, l’urgence, la peur.
Peur qu’il soit trop tard, peur pour nous, Rose et moi.
Je sens qu’elle sent ma présence et qu’elle cherche à m’envoyer un message d’alerte.
Le cœur battant, je distingue alors trois silhouettes très vagues, qui avancent à travers le blizzard, vers la voiture. Puis le blanc recouvre tout.
 
Contrairement aux cauchemars habituels, qui partent en lambeaux, puis disparaissent au cours de la journée, celui-là est resté imprimé dans mon cerveau.
Sans regarder l’heure, j’ai tenté d’appeler le Wabash Lodge, où Raven vit, avec Willie. En vain, évidemment, le blizzard occultait toute communication.
J’ai pris la voiture et me suis rendu au poste de police. Je devais parler à Rose.
 
Elle m’a écouté, alors que nous étions seuls dans son bureau de Town Marshal. Elle seule, à Whitby, pouvait entendre ce que j’ai raconté. La liaison radio ne fonctionnait pas, évidemment.
 
C’est le moment qu’a choisi Bob Campbell, le nouvel adjoint de Rose, pour revenir de patrouille. Bob est un homme solide, un flic sur lequel Rose sait qu’elle peut compter. Il est revenu à Whitby je ne sais pas trop pourquoi, mais il est d’ici et ça signifie beaucoup.
Il raconta à Rose qu’il avait découvert un véhicule abandonné, pas loin de la casse, près de la Wabash, une Ford Ranger orange.
J’ai serré les dents, pendant qu’il continuait.
La voiture était verrouillée, mais les clefs étaient sur le contact et personne n’était à l’intérieur. En quelques instants, Rose confirma ce que je savais déjà : la plaque d’immatriculation était celle d’un pick-up appartenant à William Lowry.
Mon vieil ami Willie l’Indien.
- On y va, lâcha Rose.
Je l’accompagnai. Bob Campbell nous regarda partir, sans poser de questions…
 
- Mes enfants, vous allez devoir rester à la maison aujourd’hui.
Je pose ma tasse de café et regarde Dorothy. Devant elle, le paysage est recouvert de neige et le vent gagne en intensité. Sondra relève le nez du Whitby Daily et sourit :
- La bibliothèque n’ouvrira pas aujourd’hui, Dorothy, ne t’inquiète pas.
Puis elle me regarde et pointe du doigt un article dans le journal.
- Tu as vu ce que Miss Myers dit de ton dernier roman ?
Je hausse les épaules. Amanda Myers s’était contenté d’un entrefilet lapidaire, évoquant un roman en-deçà de mes précédentes productions.
- Avec le papier du New York Reader, ça me fait une moyenne.
La rédactrice du Whitby Daily n’avait pas digéré que je résiste à son charme. Elle s’en remettrait.
- Je vais faire des cookies, déclare Dorothy.
Je regarde par la fenêtre : le blizzard, au-dehors, me fait frissonner. Pourtant, je n’ai pas froid.
 
Le trajet me parut durer des heures, dans le blizzard qui redoublait. En arrivant sur les lieux, nous eûmes l’impression que la voiture était naufragée au milieu de nulle part. Rose l’examina, tandis que je me tenais en retrait. Elle finit par briser une vitre pour accèder à l’intérieur et brandit bientôt un sac à main. Il contenait, entre autres, les papiers de Vera Crow, alias Raven. Il n’y avait aucune trace de lutte, et la neige avait déjà tout recouvert aux alentours. Où était-elle ?
 
Un bruit de moteur me parvint. Une camionnette approchait, que j’identifiais malgré la neige : c’était la dépanneuse de Brad Kuttner, le propriétaire de la casse. Elle s’arrêta un instant, puis fit demi-tour. Je me mis à courir, essayant en vain de rattraper le véhicule.
Rose avait bondi dans sa voiture et se rapprocha, me recueillant au passage.
- Il a disparu, avec ce satané blizzard, pesta-t-elle.
- Il est sûrement à la casse, commençai-je, avant de m’interrompre.
La parka de Rose était couverte d’aiguilles de pin, qui s’étaient collées à elle quand elle avait fouillé le Ford Ranger. Nous nous regardâmes, perplexes : que se passait-il ?
 
La dépanneuse était bien à la casse automobile, près du bungalow servant de bureau à Kuttner. Le moteur était encore chaud. Bientôt, l’homme apparut, son fusil en main.
Il parut ne pas comprendre ce que Rose lui demandait, et nous demanda de partir, puisqu’aucun mandat n’autorisait qu’on soit là.
- Que le Town Marshal Fred Hurt aille se faire foutre, gromella-t-il. Fichez le camp !
Quelque chose n’allait pas. Kuttner agissait comme un somnambule et, surtout, il parlait de Hurt comme s’il était encore en poste. Et, à la lisière de la raison, je sentais que quelque chose clochait tout près.
Je parcourus les alentours du regard, sourd aux injures de Brad Kuttner, et m’arrêtai.
Devant moi, se situait une cabane dont je n’avais aucun souvenir. J’avançai dans sa direction et m’arrêtai à quelques mètres.
- Il n’y a rien là-dedans, cracha Kuttner.
Pourtant, je sentais que quelque chose se trouvait là, derrière l’unique porte de la cabane. Je me retournai : Rose était tenue en joue par Brad Kuttner, mais n’avait pas lâché son arme.
- Puisque vous y tenez, on va discuter… là-dedans !
Rose fixa l’homme :
- Il y a quoi là-dedans ? Raven ? Cet endroit… c’est le No Man’s Land, c’est ça ?
Il eut un sourire mauvais et me braqua :
- Ouais, c’est ça, Raven est là. Ouvrez !
J’ouvris la porte. Il n’y avait là que des ténèbres. Nous fîmes un pas en avant et la porte claqua derrière nous, comme le couvercle d’un cercueil qu’on ferme.
 
Ce n’étaient pas les ténèbres, mes vieilles amies, mais une obscurité plus épaisse, que la maglite perçait à peine. Il faisait chaud dans l’unique pièce, contre toute raison. Et puis, un gargouillement venu de nulle part se fit entendre, avant que les fenêtres ne disparaissent, que les meubles fondent sous nos yeux. Nous étions dans quelque chose qui vivait.
La terreur s’empara un instant de nous quand nous réalisâmes que ce quelque chose était en train de nous digérer.
J’appelai Raven, en vain, tandis que Rose balayait l’espace de sa maglite. Les murs avaient laissé la place à des parois organiques et, ça et là, se devinaient les ossements de choses ou d’êtres qui étaient passés par là plus tôt.
- Le chien de Kuttner, sans doute, dit Rose en secouant la tête.
Nous sûmes alors que Raven n’était pas dans cette chose, mais n’étions pas pour autant tirés d’affaire. Un hurlement se fit entendre et, le temps d’un battement de cœur, la paroi s’entr’ouvrit, pour laisser entrer une nouvelle proie : Kuttner, qui hurlait comme un damné, balancé là par ceux qui nourrissaient cette chose.
Durant le bref instant où il fut jeté en pâture, j’aperçus ce qui l’avait envoyé là.
L’être n’avait rien d’humain. Que se passait-il ici ? Quel enfer se déchaînait autour de nous ?
 
Je tentai de maîtrise Kuttner, pris de folie. Sans doute son esprit avait-il définitivement basculé à cet instant. Rose hurla et ramena le calme.
- Le Gardinel… il va nous bouffer, il a déjà digéré un clodo… ils l’ont construit, ceux d’avant !
Kuttner parlait tout en pleurant, et commença à ânonner l’hymne américain, comme si c’était son seul barrage contre la folie.
- Où est Raven ?
Rose et moi avions posé la même question.
- La fille ? Elle est avec eux, pour leur rituel… ils nous tuerons tous !
Il reprit sa mélopée, tandis que nous sentions sur notre peau la brûlure des sucs digestifs de cette abomination. Il y avait bien une façon de sortir de cette horreur…
 
C’est alors que je ressentis un appel. Je criai, j’appelai, qui que ce fût, puis me concentrai et dirigeai toutes mes pensées vers l’appel. Quelque chose changeait. Ce fut d’abord une faible lueur, puis la lumière se fit plus forte encore et je devinai une silhouette spectrale devant moi. Incrédule, je la vis se tourner vers nous : Willie était là et nous tendait la main.
Rose et moi avançâmes vers lui et nous comprîmes que nous étions nous aussi devenus intangibles. Je tentai de tirer Kuttner par le bras pour l’entraîner avec nous mais il était resté prostré et n’était pas devenu spectral. Renonçant, je fis quelques pas, puis basculai, tombant vite à quatre pattes dans la neige.
Le blizzard glacial nous gifla le visage. Nous étions de retour.
Je relevai la tête : le spectre de Willie était en train de s’effilocher, comme s’il était emporté par le vent glacial. D’un geste, il nous montra le bâtiment devant nous, puis disparut dans l’air.
Sans tarder, nous nous dirigeâmes dans sa direction.
Du coin de l’œil, nous eûmes le temps d’apercevoir une silhouette qui se faufilait entre les carcasses rouillées. Quelque chose rôdait là.
 
- Mais c’est mon ami Beckman !
Epstein, encore une fois, avec l’un de ses sbires habituels et son sourire mauvais. Cet après-midi là, je croyais être le dernier dans les couloirs de la Middle School, et n’avais qu’une hâte : retrouver mes trois complices du Gang of Four parce que Nigel veut nous montrer un jeu à propos de dragons.
- Bill, je…
- Silence, l’intello… oh, mais c’est un chouette sac à dos que tu as là. Voyons voir ce qu’il contient.
Il m’a pris mon sac des mains et l’a ouvert, et s’apprête à en vider le contenu au sol, l’une de ses spécialités.
- Un problème, jeunes gens ?
Willie, l’Indien, comme on l’appelle dans son dos, a fait son apparition dans le couloir, sa vieille boîte à outils au bout du bras.
- Merde, le peau-rouge, a marmonné le garçon derrière Epstein.
- On se reverra, Beckman, lâche Epstein, avant de tourner les talons.
Je reste immobile, le dos plaqué au mur, la sueur me glaçant l’échine, puis je tourne la tête en direction de Willie.
Il hoche la tête et je crois voir un mince sourire se dessiner sur ses lèvres.
 
Nous entrâmes. Le couloir était en désordre et nous ne tardâmes pas à faire du bruit en avançant. Après quelques mètres, nous fûmes attaqués par deux êtres semblables à celui que j’avais aperçu peu avant. Rose fit feu sur le premier tandis que je me débarrassai tant bien que mal de celui qui m’avait attaqué toutes griffes dehors.
La créature semblait faite de matière végétale et était couverte d’aiguilles de pin. Une puissante odeur de bois pourri l’accompagnait. De ses grands yeux blanchâtres, elle regarda son congénère à terre.
- Où est Raven ? cria Rose.
Pour toute réponse, la chose se jeta sur elle. J’essaie en vain de la frapper avec le premier truc qui me tomba sous la main, mais Rose finit par l’abattre.
 
Nous n’eûmes pas le temps de nous demander ce qu’étaient ces créatures. Il fallait trouver Raven. De derrière une porte voisine, nous parvenait une sorte de chant, qui n’avait rien d’humain.
Arme en main, Rose ouvrit la porte : une volée de marches s’enfonçait sous terre et une forte odeur de décomposition flottait.
Marche après marche, nous descendîmes, jusqu’à la chaufferie.
Raven était là, bâillonnée, attachée par les mains et les pieds, à demi-dévêtue. Des dessins étranges parcouraient son corps, semblant tracés avec du sang. A ses pieds, la carcasse du rottweiller de Kuttner gisait.
Une autre des créatures était penchée sur Raven, psalmodiant dans une langue qui n’avait rien d’humain. Elle se tourna vers nous et parla, d’une voix sifflante :
- Les Shonokins sont immortels. Nous avons toujours été là, nous serons toujours là...vous ne nous vaincrez jamais.
Rose fit feu sans hésiter. Les aiguilles de pin volèrent.
La chose resta un instant immobile, fixant sans y croire le trou dans ce qui lui servait de poitrine.
La balle suivante la toucha à la tête. Elle s’écroula, pas si immortelle que ça finalement.
 
Délivrée, Raven se jeta dans mes bras. Nous la recouvrîmes des vêtements que nous trouvâmes ça et là, puis quittâmes cet endroit maudit. Quelques instants plus tard, nous étions dans la voiture de Rose, la jeune fille toujours cramponnée à moi.
 
Au poste de police, Rose fit rapidement cesser les questions. En état de choc, Raven n’avait toujours pas prononcé le moindre mot. Elle était en sécurité, maintenant, mais il nous fallait retourner là-bas.
Bob Campbell proposa à Rose de l’accompagner, mais celle-ci refusa. Raven toujours accrochée à moi, notre Town Marshal dut se résoudre à aller là-bas seule.
 
Rose ne m’a pas raconté ce qu’elle a fait là-bas. Ce n’était pas nécessaire. Je sais qu’elle est retourner à la casse, et a traîné les carcasses des créatures jusqu’à l’étrange cabane pour les y jeter. 
Puis le Gardinel a perdu son apparence, la porte est devenue bouche, tandis que les fenêtres disparaissaient, que les murs perdaient peu à peu leur structure.
La chose est devenue une masse sombre qui a lentement disparu, comme si elle était repue, pour ne laisser qu’une trace brûlée.
Le Gardinel est reparti d’où il venait.
 
En début d’après-midi, Rose est revenue et a donné à Campbell la version officielle : Kuttner avait enlevé la jeune fille, avant de prendre la fuite lors de notre arrivée. Bien sûr, il serait recherché partout. Mais Rose et moi savions qu’on ne retrouverait jamais Brad Kuttner.
 
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

(suite et fin du CR de "Blizzard", l'épisode 1 de notre saison 2 - encore merci à Laurent pour ce super-récit :yes: - avec, en petit bonus, les images que j'avais créées sur Midjourney pour les besoins du scénarios - en plus des photos de PNJ que nous utilisons habituellement)

Journal de Michael Beckman
 
Whitby, 7 février 2023 (suite)

C’est alors que Raven a fini par parler, enfin.


- Willie est à l’hôpital, il est dans le coma. Le Dormeur du Seuil s’en est pris à lui. J’ai voulu vous prévenir et les...Shonokins m’ont prise.

Elle tremblait encore, plus de peur que de froid, mais avait repris ses esprits.

- Dès que le blizzard tombera, nous irons le voir ensemble à l’hôpital. En attendant, tu restes avec nous, Raven.

J’exposai à Rose et Raven ce que j’avais découvert dans le roman de Wellman, emprunté quelques semaines plus tôt à la bibliothèque.
C’est alors que, comme un cadavre remontant à la surface, le souvenir me revint : c’était dans ce livre de Wellman que j’avais vu le nom du Gardinel, alors que j’y cherchais des informations sur ces fameux Shonokins.

 
La nuit tombe enfin. Raven dort, je l’espère, dans la chambre d’amis. Elle a été accueillie à bras ouverts par Dorothy, l’ange gardien de cette maison.

Dehors, le blizzard continue de souffler, coupant Whitby du monde, préservant ce dernier des horreurs qui tentent de s’y infiltrer.
La guerre annoncée ne fait que commencer, j’en suis persuadé.
 
Whitby, 11 février 2023

Comme s’il avait fini par s’épuiser, le blizzard a cessé de souffler hier. Et, comme promis, nous sommes allés voir Willie, mon vieil ami, à l’hôpital de Wabash.

Il est dans un coma profond, dont les médecins ne comprennent pas l’origine.  D’ailleurs pourraient-ils comprendre ?
En entrant dans sa chambre, j’ai pris la main de cet homme à qui je dois tant, et j’ai fermé les yeux.
 
Mikie...veille sur Raven. Elle n’est pas encore prêt. Elle a besoin d’être protégée. Sinon, ils la prendront, pour l’utiliser contre moi, comme ils ont essayé de le faire. C’est pour cela qu’ils l’ont laissée en vue. Pour attaquer mon esprit, à travers le lien spirituel qui m’unit à Raven.
Un même lien m’unit à toi. Mais le nôtre est plus fort, plus ancien ; il remonte à plus longtemps, quand tu étais encore un enfant, lorsque nous avons fait face au Moharahani la première fois. Je sais que tous tes souvenirs sont encore là.
Si tu étais resté, tu serais sans doute devenu mon élève. Mais nous avons suivi d’autres chemins, toi et moi. Et, à la fin, nos chemins se sont réunis de nouveau… et ont croisé les chemins de Rose et de Raven.
C’est ainsi que j’ai pu t’alerter, dans tes rêves, du danger qui guettait Raven.
Dis-leur de garder espoir. Ce n’est pas le Moharahani ni la sorcellerie des Shonokins qui m’a plongé dans le coma. C’est moi qui en ai décidé ainsi. Une autre façon de combattre le Veilleur de la Fin des Temps, à la lisières de ses rêves, dans le monde des esprits et des ombres, pour empêcher à tout prix de le réveiller… c’est ce que veulent ces créatures, pour régner de nouveau…
Tant que mon corps restera en vie, mon esprit continuera à lutter. Mais ce sera à vous de combattre de ce côté-ci, dans le monde de la chair et du sang.
Ils reviendront, sans doute masqués. Vous leur avez fait peur car ils se croient immortels mais ne le sont pas. Nos armes peuvent les tuer…
Il y a tant de choses que ‘j’aurais voulu apprendre à Raven… mais le temps m’a manqué. Je tenterai de guider, par tes rêves...si j’en ai encore le pouvoir...Tôt ou tard mon esprit se noiera dans le monde des ombres…
 
J’ignore combien de temps je suis resté figé, hors du monde, mais quand la voix s’est tue, quand l’image de la silhouette de Willie a fini par s’effacer de mon esprit, j’ai raconté brièvement ma vision à Raven et à Rose. J’étais en paix.
 
Sur le chemin du retour, dans la voiture, un long silence s’est installé. Les mots de Willie résonnaient son mon crâne : la tâche qui nous attendait était immense, et nous allions devoir l’affronter seuls.
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Petit post scriptum du MJ  :mrgreen:

Pour les quatre épisodes de la saison 1, j'avais à chaque fois donné à une chanson un rôle emblématique ou évocateur dans l'intrigue ou l'atmosphère du scénario.

Pour la saison 2, j'ai décidé de changer de formule et d'essayer de rendre hommage, dans chaque épisode, à un réalisateur (ou à un film) d'horreur particulier. L'épisode "Blizzard" était donc mon épisode "à la John Carpenter", avec des échos de "The Thing", de "The Fog" et (plus légers / inconscients - je ne l'ai réalisé qu'après coup) de "Ghosts of Mars" (le côté SF et martien en moins arf :mrgreen: ).

Pour le deuxième épisode... eh bien je ne suis pas encore fixé !   :??:   Wait and see, donc.
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

J'ai eu le plaisir de mener hier soir le deuxième épisode de la saison 2 de Mystères à Whitby, intitulé Gestalt... un épisode très psychologique, à l'ambiance très différente de la plongée en apnée "survivor" de la dernière fois (varions les plaisirs).

En attendant le CR de Laurent (que j'ai hâte de lire, comme à chaque fois), quelques premiers éléments :

Il s'agissait cette fois-ci de revisiter deux autres ingrédients du background classique de TTB, revus et ré-imaginés via le filtre "40 ans plus tard..." - en l'occurrence l'Agence et les Enfants Alpha (voir les règles de TTB, pour ceux qui ne verraient pas du tout de quoi je parle). Cette fois-ci, l'hommage était dirigé vers les "thrillers psychiques" emblématiques des années 80 - notamment Scanners de Cronenberg, Fury de Brian de Palma et Firestarter/Charlie (le roman de King, plutôt que l'adaptation assez oubliable de Mark Lester) - eh oui, cette fois-ci, j'ai panaché plusieurs sources d'inspiration. Et le scénario était un hommage direct (et une suite, à presque 50 ans d'écart, à un autre scénario de TTB (écrit par Laurent :mrgreen: ), intitulé Strange Little Girl...
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Mystères à Whitby

Saison 2, Episode 2 : GESTALT

 
Journal de Mike Beckman
Whitby, 4 avril 2023
Tout semble tranquille à Whitby depuis l’épisode du blizzard. Brad Kuttner est toujours porté disparu : nous savons, Rose et moi, qu’il ne reviendra jamais. Sa casse automobile est désormais sous séquestre et ce cimetière de métal est redevenu l’endroit rêvé pour les gosses qui cherchent à se faire peur. Rose Wu, désormais Town Marshal de notre petite ville, est appréciée de toute l’équipe municipale et n’a à déplorer que ses relations avec le shériff du Comté.

Willie est toujours dans le coma et, dans mes rêves, je sens parfois sa présence. Il me semble plus proche, ces derniers temps : son esprit est toujours là, vigilant, montant la garde. Raven a élu domicile sous mon toit et se remet de ce qu’elle a vécu cet hiver, grâce à l’affection de Dorothy, la fée de cette maison.
 
J’écris de temps à autre, la plupart du temps pour jeter ce que j’ai produit la veille. Tôt ou tard, Ray reviendra à la charge pour savoir où en est mon prochain roman. Mais, en ce printemps qui s’installe à Whitby, je n’aspire qu’à la tranquillité. Partir quelques jours au bord d’un lac, avec Sondra, est actuellement mon projet prioritaire.
 
Est-ce cela, vieillir ?
 
Whitby, 10 avril 2023

Ce matin, Rose s’est arrêtée à la maison, pour prendre le café. Nous avons pris l’habitude de ces rencontres régulières : à l’instar de Willie, qui veille dans le monde des esprits, Rose et moi restons en alerte et avons mis en place une veille. Je soupçonne néanmoins Rose de préférer le café que prépare Dorothy à celui auquel elle a le droit au poste de police.

Des aboiements ont interrompu notre discussion, bientôt suivis par l’arrivée d’un fringant septuagénaire, qui s’est présenté comme notre nouveau voisin. Alan Bishop occupe depuis une semaine la maison la plus proche, avec sa femme Laura et Buster, son golden-retriever.
 
Se livrant aux présentations d’usage, Bishop nous a laissé une étrange impression, à Rose et moi. Cet ancien policier, ayant officié à Chicago, semble déjà nous connaître et je suis sûr qu’il a fait ses recherches sur nous avant de se présenter. Par contre, il est resté vague sur sa carrière, se contentant d’évoquer le titre d’agent fédéral, et les raisons de sa venue à Whitby. Par contre, il avait pris ses renseignements sur nous et connaissait des détails de la carrière de Rose qu’elle n’a pas encore évoqué avec moi. A posteriori, j’ai réalisé qu’il avait réussi à ne répondre à aucune de nos questions. Il est reparti après nous avoir invité, Rose et moi, à dîner le soir même.
 
Quand il a tourné les talons, nous étions certains que Bishop n’était pas ce qu’il affichait. Ce n’étaient pas les convenances qui avaient motivé cette invitation. J’imagine que nous en saurons plus tout à l’heure.
 
A l’heure dite, Rose et moi avons frappé à la porte de la grande maison. Avec son habituelle délicatesse, Dorothy m’a prévenu : Mrs Bishop est « en fauteuil ». Mais c’est pourtant elle qui nous a accueillis : Alan était en cuisine et nous préparait son fameux coq au vin. Tous les ingrédients étaient réunis pour une soirée parfaite.

L’ameublement et la décoration semblaient sortir d’un catalogue, les boissons, puis bientôt, les plats auraient pu rivaliser avec les meilleures cartes. Mais, derrière la façade, nous sentions que quelque chose n’allait pas. Si Alan réussissait à être intarissable sans trop en livrer sur lui-même, Laura paraissait sur ses gardes. Quand je réussis à prendre la parole, je me tournai vers elle : pourquoi Whitby ? Nous apprîmes ainsi qu’après une carrière dans la biochimie du cerveau (si j’ai bien compris), elle venait trouver le calme ici. Elle avait tenté d’écrire, il y avait longtemps, mais n’avait aucun talent dans ce domaine. La littérature fantastique l’intéressait et si je pouvais lui indiquer quelques titres notables, elle serait ravie.

Le roboratif repas se conclut avec l’irréprochable cheesecake de Chez Dora, puis Laura se rendit en cuisine, pour nous préparer du café. Un long silence s’installa.

La tension feutrée était palpable dans ce couple. En était-ce seulement un ?

Quand la machine à café commença à ronronner en arrière-plan, Alan prit la parole :

- J’imagine que vous vous demandez pourquoi je vous ai invités.

Rose et moi hochâmes la tête. D’un geste, je l’invitai à poursuivre :

- Laura et moi travaillons pour l’Agence… enfin, la Fondation. Si nous sommes venus à Whitby, c’est suite aux événements récents. Je veux parler du suicide de Paul Karminski et toute cette histoire de Stranger Stuff. Nous tenons nos informations d’une source… Miss Frederica Addams.

Miss Friday.

Je me souvenais de notre entretien, de sa volonté d’aborder des sujets que j’avais préféré éviter. Et puis, tout ce qui s’était passé dans la chambre 13, au dernier Halloween, tout cela revenait. Alan continua son exposé. La Fondation, nouveau nom de ce qui avait été autrefois l’Agence, œuvrait dans l’ombre, dissimulant aux yeux du public ce qui rôdait dans le noir.

- La vérité doit être entourée d’une garde rapprochée de mensonges, déclara Alan, reprenant à son compte les mots de Churchill. Pour cela, nous observons et nous répandons de fausses informations. A l’heure d’internet, nous devons lutter sur ce front, dans la guerre qui nous oppose à un ennemi qui se cache dans l’ombre. Vous savez de quoi je parle, n’est-ce pas ?

- Le No Man’s Land, a complété Rose.

- Appelons-le ainsi. Nous savons qu’il existe et que vous y avez été confrontés.

- Qu’attendez-vous de nous ? Ai-je demandé.

- Rien. Considérez cette soirée comme une simple… prise de contact. Laura et moi sommes ici en mission de...diagnostic..

A ce moment, les ampoules se sont mises à grésiller, puis nous avons entendu une explosion, venant de la cuisine. Nous nous sommes précipités à la suite d’Alan, qui avait bondi de sa chaise. Devant la machine à café en flammes, Laura était comme pétrifiée par la terreur. Brandissant un extincteur providentiel, Alan vint rapidement à bout du feu, tandis que Rose écartait la pauvre femme.
En quelques instants, tout fut terminé. Mais la peur continuait de hanter Laura et nous décidâmes de prendre congé. Alors qu’il nous raccompagnait sur le pas de la porte, j’ai bien cru qu’Alan était sur le point de dire quelque chose, mais il se ravisa.
Ce fut une étrange soirée, même si je n‘arrive pas à comprendre pourquoi.

Demain sera un autre jour.
 
Whitby, 11 avril 2023

Je me suis réveillé en pleine nuit, vers trois heures du matin, comme si une alarme retentissait. Dans la maison, le silence régnait pourtant. Je sentais que quelque chose se passait non loin et, après avoir sauté dans un jean et enfilé une paire de baskets, je suis sorti et ai couru vers la maison voisine, tout en appelant Rose.

La porte d’entrée était verrouillée. De l’autre côté, j’ai entendu les gémissements de Buster. J’allais faire le tour de la maison quand Rose est arrivée. Sans hésiter, elle a cassé la vitre de la porte de derrière et est entrée, maglite en main. Je l’ai suivi et, dans le faisceau de lumière, nous avons distingué des meubles renversés. Un étrange frisson me parcourut l’échine, comme un insecte qui aurait grimpé le long de ma colonne vertébrale. Je sentais des présences alentour… à la lisière du réel.

Alan était étendu, groggy. Quand Rose se pencha sur lui, il murmura :

- Laureen…

Mon étrange impression se dissipa, comme si la présence se retirait. Tandis que je restai près de l’homme, Rose se dirigea vers la cuisine.

Le fauteuil roulant gisait, renversé sur le côté. Dans l’escalier, en position fœtale, Laura gémissait. Elle était brûlante de fièvre. Rose s’approcha et l’entendit marmonner :

- Un bon chocolat chaud et un marathon ! C’est le magicien, le magicien d’Oz !

Elle délirait, en proie à la fièvre.

- Il faut appeler Bourbon Jack…. Ce ne sont pas mes vrais parents ! Mes parents sont morts, je les ai tués ! Ils sont à Dreamland...

Elle avait presque crié. Puis elle se mit à chantonner…

- Somewhere, over the rainbow...

Rose et moi nous regardâmes. Puis, elle composa sur son téléphone le numéro du Docteur Maxwell. Alan, de son côté, avait rétabli le courant. Je le soupçonnai de s’être offert une rasade de l’excellent whisky que nous partagé quelques heures plus tôt. A vrai dire, j’en aurais bien pris une gorgée aussi.
 
Quand le Docteur Maxwell est arrivé, ayant enfilé un manteau par-dessus son pyjama, il examina Laura, bien que celle-ci ait recouvré ses esprits peu après son étrange crise. Il insista pour qu’elle se rende à l’hôpital de Wabash pour y faire des examens, mais elle refusa. Avant de repartir, Maxwell nous confia son inquiétude, en haussant les épaules. La nature du drame qui s’était joué ne faisait guère de doute à ses yeux, étant donné le désordre qui régnait. Mais Rose et moi savions qu’autre chose était à l’œuvre ici.

- ILS sont revenus, c’était eux.

La voix de Laura était à la limite de l’audible. Nous nous tournâmes vers elle, mais Alan avait déjà posé sa main sur l’épaule de la femme. Il nous fixa sans ciller et déclara :

- Laureen… Laura et moi devons… faire le point. Merci de vous être déplacés.

D’un regard, il nous montra la porte.

Le ton de sa voix était à mille lieues de sa bonne humeur de tout à l’heure.

Nous sommes partis.
 
Je n’ai pas dormi et, jusqu’à l’aube, j’ai fait quelques recherches sur mes deux nouveaux voisins. Il y a tellement d’Alan Bishop dans ce pays que celui qui je cherchais est resté bien caché. Par contre, j’ai rapidement trouvé le profil de Laura Grayson. C’est effectivement une chercheuse en biochimie du cerveau et a travaillé pour les universités de Berkeley et de Chicago, entre autres.
J’ai rejoint Rose au poste de police pour partager ces maigres informations. Qui est Alan Bishop ? Est-ce le garde du corps de Laura ?

Pourquoi sont-ils venus à Whitby ?


Dans les bases de données de la police, il n’y a rien sur elle ni sur lui.

C’est alors que Rose s’est souvenu des mots prononcés par Laura lors de sa crise. Si elle avait vraiment perdu ses parents, alors qu’elle n’était qu’une enfant, le drame se serait joué dans les années 1970. Les archives de cette époque, au poste de police de Whitby, étaient parcellaires, pour ne pas dire inexistantes. Qui pourrait nous renseigner ?

L’évidence nous a frappés, simultanément.

- Dorothy !
 
Whitby, 1978

- Tu vas bien, petite ?

Dorothy s’est penchée sur la gamine entrée en trombe dans le Drugstore. Elle a délaissé le carton qu’elle portait et tend les bras à l’enfant au pull orange. En état de choc, la fillette sanglote silencieusement. Après avoir regardé dans le magasin si elle voyait les parents de l’enfant, la vendeuse déclare, en se tournant vers Samantha Langmann :
 
- Cette petite s’est perdue…
 
Puis, se tournant de nouveau vers la petite fille et l’entraîne avec elle.
 
- Que dirais-tu d’un bon chocolat chaud ?
 
En saisissant au passage une barre chocolatée, sous le regard de sa patronne (« cela sera déduit de votre salaire, Dorothy », lit-elle dans ses pensées), elle ajoute :
 
- et un Marathon !
 
L’étrange petite fille a cessé de pleurer et s’est assise à côté de Dorothy, qui continue de lui parler, tout en déballant la friandise :

- Comment t’appelles-tu, ma chérie ? Moi, c’est Dorothy… tu sais, comme dans le Magicien d’Oz.

La fillette regarde fixement la femme qui l’a prise en charge et tente de sourire, malgré la peur qui se lit dans ses yeux.

- J’appelle Bourbon Jack, lâche Mrs Langmann, tout en décrochant son téléphone. Dorothy, de son côté, a commencé à chanter, tout doucement, captivant sa petite protégée qui tient la barre chocolatée.

Somewhere, over the rainbow...

Il y a du bruit dans le Drugstore. Un homme et une femme sont entrés et ont marqué un temps d’arrêt devant le curieux spectacle. Après avoir chuchoté quelques mots à Mrs Langmann, ils se sont approchés de la petite fille.

- Laureen… c’est fini, maintenant, il faut remonter en voiture.

Les yeux de l’enfant s’écarquillent et s’embuent. La femme ajoute :

- Viens, ma chérie, nous avons encore de la route jusqu’à Chicago. Laisse cette gentille dame tranquille, maintenant.

La petite les regarde et crie :

- Ce ne sont pas mes vrais parents ! Mes parents sont morts, je les ai tués !

Les deux adultes sourient et se tournent vers Mrs Langmann, l’air gêné. Ils parlent en même temps d’état de choc, de fatigue, de crise de nerfs à leur interlocutrice qui hoche la tête. Le regard de Dorothy fixe les nouveaux venus, tandis que la main de la petite fille serre la sienne.

Celui qui s’est présenté comme son père se penche alors sur l’enfant et Dorothy sent la petite main glisser dans la sienne. Quand elle se relève, les deux adultes sont déjà au seuil du Drugstore, aux côtés du Town Marshal Jack Williams, dit "Bourbon Jack".

Sans un regard en arrière,
 
Nous sommes retournés chez Alan et Laura, bien décidés à enfin obtenir des informations de leur part. Quand il nous a ouvert, Alan n’était plus l’homme affable de la veille. Mais, dans son dos, la voix de Laura lui a demandé de nous laisser entrer. Elle voulait nous parler. Il s’est retiré et Laura Grayson nous a raconté son histoire.
 
Depuis quarante ans, Alan veillait sur elle, qui fut Laureen Henderson, Alpha 21 et Laura Grayson.

En 1973, l‘administration Nixon lança le programme Alpha, en pleine Guerre Froide. Dans le cadre de ce projet, quelque part aux alentours de Whitby, fut construit le Centre, une clinique « spéciale » dirigée par le Professeur Hugo Wallenquist.
 
Quelques années plus tard, Laureen Henderson perdit ses parents dans un accident automobile. Elle fut la seule survivante et, après six mois de coma, reprit vie, dotée de facultés particulières. Les prospecteurs du Projet Alpha la repérèrent et l’enlevèrent, afin de l’amener au Centre, droguée. Peu avant son arrivée, Laureen s’éveilla et fut victime d’une crise. La voiture qui la transportait sortit de la route et la petite fille fila entre les mains de ses ravisseurs. Elle trouva refuge dans le Drugstore de la ville où avait eu lieu l’accident, mais fut reprise par les agents.
 
Elle séjourna presque un an dans la clinique de Wallenquist, où elle subit des tests, fut soumise à des traitements à base de drogues et de musique classique. Père, comme se faisait nommer Wallenquist, espérait avec ses protocoles, développer, comprendre et maîtriser les facultés PK de Laureen. Cette dernière était alors devenue Alpha 21.
 
C’est à cette époque que l’Agence a renforcé sa surveillance sur la Clinique. Les équipes de Wallenquist avaient compris que les enfants qu’ils détenaient représentaient des armes fantastiques, pour peu qu’ils fonctionnent en groupe de quatre : le Gestalt. Alpha 18 avait des facultés  télékinétiques, Alpha 19 maîtrisait le contrôle psychique, Alpha 20 détenait le blast. Quant à Alpha 21, sa spécialité était la pyrokinésie.
 
Pour Wallenquist, tous les moyens étaient bons. Les cerveaux des gosses étaient matraqués par les drogues et il redoublait de sévérité pour réussir. Il répétait à « ses » enfants Alpha qu’ils étaient de la race des seigneurs, qu’ils étaient les enfants du futur, sur fond de musique wagnérienne. Les gamins devaient d’ailleurs subir un traitement spécial qui leur blondissait la chevelure.
 
Rien d’étonnant, quand on savait que Wallenquist s’appelait autrefois Heinrich Wolfram et que ce scientifique nazi avait été récupéré par les États-Unis à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale.
 
- L’opération Paperclip, murmura Rose.
 
En août 1979, la Clinique fut ravagée par un incendie. Ce jour-là, Alpha 21 « explosa ». Trois membres du personnel périrent dans le sinistre, ainsi que les trois derniers enfants Alpha. Laureen, dernière survivante de Wallenquist, fut sauvée par les hommes de l’Agence. Le Professeur fut capturé par l’Agence et finit ses jours dans une prison, victime d’une crise cardiaque. L’affaire fut étouffée, mais il y eut des fuites.
 
- Quand l’écrivain, ce King, publia son bouquin… « Firestarter »… personne n’a cru à une coïncidence, marmonna Alan.
 
Belmont High School, 1991
Glen arrête le magnétoscope, puis commence à rembobiner la cassette.
- Eh bien, je m’attendais à mieux…quelqu’un veut une bière ?
A côté de moi, dans le canapé défoncé de la salle de détente, Kristin hoche la tête.
- C’est bien la petite fille qui jouait dans E.T. ? demande-t-elle en décapsulant la bouteille glacée
Ils sont plusieurs à s’être tournés vers moi, attendant ma confirmation. Je mets quelques secondes à répondre que oui, c’est bien elle.
- Ça va, Mike ?
- Oui, oui… désolé, j’étais ailleurs.
Si j’étais honnête, je leur dirais à tous que j’étais dans le film, aux côtés de ces gosses qu’on utilise comme cobayes dans ce laboratoire. J’ai rarement senti pareille proximité avec des personnages de fiction. Il va falloir que je m’intéresse au roman dont ce Firestarter est tiré.

 
Laura continua son récit. Elle avait été récupérée par l’Agence et, avec la puberté, vit disparaître ses pouvoirs. Tous les tests qu’elle subissait étaient vains.
 
Commença pour elle une période d’errance qui prit fin avec l’accident : ce jour-là, ivre et défoncée, elle faillit perdre la vie au volant de sa voiture. Privée de l’usage de ses jambes, elle fut prise en charge par l’Agence et Alan entra dans sa vie, pour l’assister et la surveiller. Elle suivit des études et fit la carrière qu’on lui connaissait.
 
En 2001, l’Agence devint la Fondation mais Alan resta à ses côtés. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en septembre 2021, ses pouvoirs revinrent, de façon sporadique et incontrôlée. Si les scientifiques de la Fondation pensaient que cela pouvait être dû à la ménopause, Laura était persuadée que quelque chose était arrivé, à cette période.
 
Nous ne pouvions lui donner tort : c’est en septembre 2021 que ça a recommencé, à Whitby aussi, à Amblin House, tout d’abord, avec ces gosses et puis, tout ce qui s’est passé depuis…
 
En s’intéressant au cas de Karminski, la Fondation avait découvert l’existence de Whitby, Indiana. De là à comprendre que les pouvoirs de ces malheureux enfants étaient boostés par la présence du No Man’s Land, le pas avait vite été franchi.
 
Sous l’égide de la Fondation, le projet Dreamland avait été lancé. Sur les ruines de la clinique de Wallenquist, se construirait un nouveau centre. Laura était là pour y être évaluée, étant la seule enfant Alpha survivante.
 
Je n’y tenais plus et m’exclamai :
 
- Votre fichue Agence, ou Fondation, appelez-la comme vous voulez… il y a dans ce No Man’s Land des choses qui dépassent vos foutus protocoles et tous les secrets que vous protégez. 
 
Alan répliqua :
 
- Nous devons protéger Laura !
 
- Savez-vous à quoi vous l’exposez ? Avez-vous eu seulement un aperçu de ce qu’il y a de l’autre côté ? Nous y sommes allés, nous !

Rose posa sa main sur mon bras. Je me calmai. En regardant Laura, je compris que c’était elle qui m’avait appelé, cette nuit. Elle savait : Dreamland n’était pas le point de contact du No Man’s Land. C’était elle, la clé qui leur permettrait d’y accéder.

Alan soupira :
- Quand Laura aura terminé les tests… nous repartirons et je ferai mon rapport à la Fondation, comme quoi il n’y a rien ici, à Whitby.

Mais survivra-t-elle à vos maudites expériences ? Et jusqu’où irez-vous ?

En repartant, je me demandais comment aider Laura. Rose a filé au poste de police, pour éplucher tous les cas de disparitions d’enfants de cette époque.
J’ai un terrible pressentiment.

Il faudrait que je dorme.
 
Vers 18h30, j’ai eu l’impression qu’un pic à glace fouaillait mon cerveau. Sur l’écran de mon téléphone, le numéro d’Alan Bishop s’est affiché le temps d’un battement de cœur, avant de disparaître. Sans réfléchir, j’ai foncé vers leur maison, appelant en même temps Rose. Elle a dû violer plusieurs fois le code de la route et est arrivée en même temps que moi. Nous sommes entrés et Buster, le golden-retriever, a pris la fuite en gémissant.
 
Alan et Laura étaient là, tous les deux. Lui était inanimé, au sol, tandis qu’elle flottait au-dessus du sol, bras écartés. L’air autour de nous crépitait et dans la pénombre, je distinguais des visages spectraux. Le Gestalt était réuni et prenait conscience de notre présence : les objets et les meubles commencèrent à voler. J’ai évité un fauteuil et me suis précipité à hauteur de Laura, mais elle était hors d’atteinte. Des flammes jaillissaient à plusieurs endroits.
 
C’est alors que Rose s’est mise à parler, répétant sans fin les noms d’enfants morts depuis longtemps :
 
- Dany Gunderson ! Trisha Wheeler ! Lindsey Preston !
 
Je compris qu’elle avait fini par identifier ceux qui étaient devenus Alpha 18, Alpha 19 et Alpha 20 et avaient servi de cobayes à Wallenquist. Les meubles cessèrent de tournoyer et l’air s’apaisa. En libérant ce qui restait de ces pauvres enfants, Rose leur permettait d’échapper au No Man’s Land. Laureen Henderson tomba et je la rattrapai.
 
Rose éteignit le début d’incendie avec un des nombreux extincteurs dont était pourvue la maison.
 
Tout était fini.
 
La porte qui s’était ouverte était refermée.
 
 
Whitby, 12 avril 2023
Laura et Alan ont quitté Whitby cet après-midi.
 
Quelques heures après leur départ, nous avons reçu un texto de celle qui fut Alpha 21 dans une autre vie « Contactez Miss Friday. Elle a des informations. Bonne chance »

J’appellerai Frederica Addams prochainement.

 
Rose est passée prendre le café, ce matin. Nous avions besoin de faire le point sur cette histoire. Elle m’a aussi exposé le résultats de ses recherches sur Dreamland. Sur les ruines de la clinique du sinistre Wallenquist, se construit ce qui sera un resort privé ou un tech center, ce n’est pas très clair. Le projet est mené par une des multiples succursales de Wisdom Unlimited, hydre technologique amené à rejoindre le club très select des GAFA, et empire personnel d’Aiden Wise. Ce dernier, non content de superviser Wise Up, le moteur de recherche qui devrait supplanter Google, a créé un organisme aux visées nébuleuses ; la Fondation W. Comme tout industriel de son calibre, il a fait l’objet de plusieurs biographies, dont une a été saisie après sa parution.
 
Quand elle m’a vu arriver, alors qu’elle s’apprêtait à fermer la porte, Sondra a souri et m’a laissé entrer.

- Désolée, Mr Beckman, la bibliothèque ferme à 18 heures.

Nous nous sommes embrassés.

- Cela dit, je peux peut-être faire une exception...a-t-elle murmuré.

J’ai hoché la tête, puis ai ajouté, en lui montrant mon calepin :

- Avec joie. Dis-moi, connais-tu ce livre ?

- Millennium Messiah, chez Polaris Publishing….une rareté !

Elle m’a fait un clin d’œil :

- … qui a donc sa place dans la "Crypte".

Quelques minutes plus tard, Sondra ressortait du sous-sol de la bibliothèque, avec en main le livre en question. Devant mon air subjugué, elle précisa :

- C’est surtout un amas de rumeurs, de spéculations. Pas très intéressant, si tu veux mon avis…tu t’intéresses au personnage ?

J’ai haussé les épaules tandis qu’elle posait l’ouvrage dans ma main.

- Un peu… promis, je respecte la règle : pas plus de trois semaines…

Son rire léger m’a répondu.

- On dîne ensemble ?
 
Je me suis réveillé tôt, ce matin et, en attendant que Sondra ne s’éveille, j’ai parcouru Millennium Messiah. Elle avait raison : l’auteur, caché derrière le pseudonyme S. Jones, relaie quantités d’informations indiscrètes et plus ou moins fondées sur Aiden Wise. J’allais le refermer quand, au détour d’un paragraphe, j’ai appris que le magnat avait changé son nom de famille.

Avant de s’appeler Wise, il se nommait Wallenquist. 


L’homme qui faisait la une de tous les magazines de la tech et du business était le petit-fils d’Hugo Wallenquist.
 
 
 
Baaldum Dhum
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Baaldum Dhum »

Toujours aussi passionnant, intriguant et bien écrit 👏👏👏👏
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Baaldum Dhum a écrit : sam. juil. 01, 2023 12:43 pm Toujours aussi passionnant, intriguant et bien écrit 👏👏👏👏
Merci. J'ai la chance d'avoir des joueurs d'élite... et Laurent a parfaitement endossé son rôle d'écrivain / gardien de la mémoire de Whitby  :mrgreen:   Ses CR renforcent encore le lien entre "mon" Whitby d'aujourd'hui et celui qu'il avait imaginé pour les 80s.
 
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Olivier.Legrand
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Re: [CR] Mystères à Whitby

Message par Olivier.Legrand »

Hello à tous et à toutes

Nous avons joué hier soir notre septième épisode (le 3ème de la saison 2, donc), intitulé COMMUNION.

Connaissant Laurent, vous ne devriez pas tarder à avoir le CR  :mrgreen:

Ca a été un grand moment de jeu, avec de l'excellent roleplaying de la part des deux joueurs (j'ai vraiment beaucoup de chance). Au programme : fanatisme religieux made in USA et machinations de sorcier. Côté inspis, cette fois-ci, j'ai panaché pas mal de trucs différents... Côté bouquins : Le Disciple de Laird Koenig, Needful Things / Bazaar de Stephen King et diverses nouvelles de Manl Wade Wellman (eh oui, les Shonokins sont de retour...). Côté films : l'adaptation du King susmentionné, avec une (toute) petite touche de La Nuit du Chasseur, divers documentaires sur des sectes américaines et quelques pincées de l'excellent Regression d'Amenabar...

A très bientôt !
 
 
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