ce que je vais dire là n'engage que moi et pas JD. Que ça soit clair tout de suite, je ne parle qu'en mon nom.
Je suis très partagé vis à vis des KS.
+ d'une part, c'est très bien. Pour moi, c'est la troisième phase de démocratisation du monde de l'édition après l'arrivée de la PAO sur nos ordis persos à la maison et l'apparition du POD. Là, n'importe qui peut lever des fonds pour sortir son projet qui lui tient à coeur. On va voir passer des trucs géniaux et des trucs nuls, mais tout comme on a vu des trucs géniaux et des trucs nuls quand n'importe qui a pu faire passer son JDRA à un niveau de présentation pro il y a quelques années. Ayant profité de la révolution de la PAO pour démarrer, je ne vais certainement pas cracher sur une autre phase de démocratisation.
+ d'autre part, je suis plus que dubitatif sur la manière dont c'est fait la plupart du temps.
1/ le boulot d'un éditeur, ce n'est pas seulement de financer des projets, mais aussi de savoir quels projets sortir et comment. S'il veut travailler sur le long terme, il doit prendre en compte des tas de facteurs de l'économie de niche que l'on connaît (payer les auteurs et les illustrateurs, payer la distribution, payer les boutiques, travailler avec les boutiques, payer les cotisations sociales des auteurs, payer les impôts, constituer un trésor de guerre pour assurer que les flops et les succès s'équilibrent et qu'on puisse prendre des risques sur le long terme).
2/ j'ai constaté que plein d'auteurs ont un ou deux jeux à écrire et que après c'est fini. Ils ont fait ce qu'ils avaient à faire et ils passent à autre chose. La non professionnalisation du milieu n'est pas seulement un problème financier, mais tient aussi à la condition du créateur/auteur. C'est un gros boulot que d'aller au bout d'un livre. Un boulot prenant qu'on peut faire une fois ou deux pour l'expérience et le plaisir. Mais il arrive un moment où c'est lourd et prenant. Donc un KS pour accompagner ces boulots uniques, c'est nickel - ça permet de gérer les choses sans se prendre la tête avec le long terme. Mais ce n'est pas le boulot et l'objet d'un éditeur.
3/ d'autant que ça fausse la perception financière des bouquins. A-on trouve des bouquins très beaux à pas cher parce que les auteurs sont trop content de faire un beau truc mais oublient de se payer, n'ont pas à gérer les boutiques et n'ont pas à gérer de structure permanente. B-on trouve toujours assez de gens prêt à mettre 60 ou 100 euros dans un KS parce que c'est excitant alors qu'ils répugnent à mettre 30 euros en boutique. C-un bouquin déjà imprimé et dans les bacs, il subit la claque de la réalité : les gens font des retours et des critiques. Un bouquin en KS, c'est du rêve en devenir. On met toujours plus de thune dans un objet fantasmé que dans un objet en dur (et c'est vrai pour tout).
4/ enfin, c'est un sale truc de droite que les KS
c'est la loi de l'offre - on produit n'importe quoi, de toute manière il y aura toujours des cons pour payer. Et puis c'est la prime aux mecs qui ont de la thune, c'est un appel au luxe : si tu mets 20$, tu auras le strict minimum, mais si tu mets 2000$, promis je viendrai te sucer la queue chez toi et celle de quatre de tes amis. Alors ouais, il y a un jugement de valeur ici : ça me dérange toujours de voir qu'on peut sortir 3000+ euros par mois pour des trucs de collection, pour récupérer des KS avec plein de bonus et tout ça, pendant que d'autres sont en limite de pouvoir simplement survivre. Et puis ça me dérange de pousser à la consommation comme ça : "je te vends mon livre, mais si tu es riche, en plus je te brosse dans le sens du poil en ajoutant un poster, un sac de dés à la con, un T-shirt trop petit, un scénario écrit juste pour toi et, whaaaaa, ton nom dans les crédits."
Voilà pourquoi, même si je trouve les KS intéressants par bien des côtés (et rien ne dit que je n'en ferai pas un, un jour, pour un projet particulier), je pense que c'est aussi le "mal" dans la manière dont c'est fait. Il n'y a guère que Hillfolk que j'ai trouvé bien mené. Tu payes 40$ pour un bouquin, mais si on est assez nombreux, on aura deux bouquins pour le même prix. L'économie d'échelle est répercutée sur la collectivité - on est quasi en mode coopérative. Il y a plein de bonus, mais ils ne sont pas forcément réservés aux plus riches. C'est ça qui est p-e le plus intéressant pour tout le monde - les auteurs, l'éditeur, les clients. Plus le projet est financé, plus il y a de matos produit pour le même prix d'achat, parce que ça coûte moins cher de sortir 10 000 bouquins que 1000. Il n'y a pas de surenchère dans la qualité de production ("si on lève plus de fond, on imprime le livre sur peau de castor") mais dans la création...
Enfin, bon. Tout ça c'est quand même compliqué. Je ne dis pas que mon avis ne va pas encore évoluer avec le temps, dans un sens ou un autre. Avant Hilfolk, j'avoue que j'étais bien plus dubitatif et méfiant. P-e qu'il y a des approches intéressantes à avoir finalement. Dans tous les cas, je suis tout ça de prêt et non je ne veux pas en faire un pour Oltréé.
.
