(merci à Laurent-alias-Mike pour ce nouveau CR plein d'émotion - je n'en dis pas plus et laisse place sans tarder au...)
Journal de Mike Beckman
Whitby, 14 avril 2024
Le numéro de Ray s’est affiché pour la quatrième fois sur mon téléphone. Je soupire et je finis par décrocher.
- Mike ? C’est l’enfer, pour te joindre, dans ton trou paumé !
La colère irradie chacun de ses mots et je laisse passer le flot de paroles, avant de lui annoncer que, non, je n’ai pas de nouveau roman en cours et que je ne lui en livrerai pas d’ici la fin de l’année. Ray reste muet quelques secondes.
- Et une suite aux Persécuteurs ?
- J’y ai pensé, Ray, mais je ne le sens pas, ça serait trop… artificiel.
J’ai failli dire “commercial”. Mon précédent roman s’est bien vendu, en surfant malgré lui sur l’air du temps, chargé de paranoïa et de défiance envers les pouvoirs. Malgré de confortables royalties, j’ai mal vécu ce malentendu.
- Pour tout te dire, j’ai en cours un travail plus “local”. J’aimerais raconter l’histoire de ma ville…
Ray réfléchit vite quand il s’agit d’argent et de droits.
- Pas de souci, Mike. Ton contrat te l’autorise… tout comme il t’impose de me livrer un ouvrage avant la fin de l’année.
Ça s’appelle un ultimatum. Mais je suis sûr de moi, pour une fois. Je remercie Ray et raccroche, avant de me pencher sur le cahier à spirale devant moi, retrouvé dans un vieux carton du grenier. A l’époque, j’avais douze ans et le professeur d’histoire nous avait demandé de faire des recherches sur l’histoire locale.
La pièce qui me sert de bureau n’a jamais été si encombrée de papiers et de vieux documents. Il flotte une odeur de poussière dans la pièce. Sondra et moi avons passé des heures dans les archives de la bibliothèque pour exhumer ces témoignages des temps passés, de l’histoire de notre ville. Il aura fallu des heures pour qu’elle brandisse devant moi un vieux manuscrit relié, datant du siècle passé. J’ai alors su que nous avions mis la main sur un trésor, réalisé à l’occasion du centenaire de Whitby.
91 pages venues d’un autre siècle, que j’ai manipulé avec précaution, découvrant à chaque page de la matière à exploiter.
Quand Dorothy est entrée, une tasse de café en main, elle a tout de suite été intriguée par ce compendium.
Elle s’est penchée sur les vieilles feuilles et, après avoir lu quelques lignes, s’est arrêtée sur un nom. Le même que celui que je venais de souligner dans mes notes : Crane.
- Crane ? Mais c'est le nom... c'était le nom de jeune fille de ton arrière-grand-mère paternelle...
Forcément, j’ai interrogé Dorothy, tandis que le café refroidissait. C’est ainsi que ‘j’ai appris que mon père s’était piqué de généalogie, sur ses vieux jours. Elle m’a alors apporté un arbre généalogique qu’il avait réalisé et où figurait une certaine Eliza Crane, sa grand-mère paternelle, née en 1882 et morte en 1918 (de la grippe espagnole). Aucune précision sur son ascendance à elle mais Dorothy étaitformelle : elle venait d'une "vieille famille de Whitby", qui semble s'être éteinte avec elle.
Cette Eliza Crane aurait-elle pu être la petite-fille ou l'arrière-petite-fille d'Abigail Twiceborn ?
Serais-je le dernier héritier du vieux clan Whitby ?
J'ai eu comme un vertige. Dans un de mes romans, ce serait ainsi que le héros verrait l'abîme s'ouvrir sous ses yeux et comprendre qu'il est maudit.
- Mike ?
La voix de Dorothy m'a ramené sur terre.
- Oui.. je réfléchissais, ai-je répondu.
La petite voix dans ma tête me chuchotait que si j'étais revenu à Whitby, il y avait une raison et que cette raison, c'était moi, tout simplement. Mon destin était lié à cette ville.
J'ai refermé le manuscrit un peu trop brutalement, comme si je craignais que quelque chose en jaillisse et me saute au visage.
Il fallait que j'en sache plus sur cette Eliza Crane.
Whitby, 18 avril 2024
J’ai passé une partie de la journée à explorer le site The Threshold.com qui recense des manifestations et phénomènes inexpliqués, liés au No Man’s Land, comme le nomme lui aussi Louis Devereaux, le webmaster. Cet occultiste amateur s’intéresse essentiellement aux événements s’étant déroulé autour de Le Seuil (Louisiane), mais évoque aussi d’autres lieux, comme Whitby ou Tall Pines (Washington).
Tall Pines, c’est d’ici que vient Rose. D’après ce que je sais, elle était adjointe du shérif local et aurait arrêté un tueur en série surnommé « Picasso ». Il faudra que je l’interroge à ce sujet. Ce serait une trop grosse coïncidence.
Devereaux connaît Whitby et son histoire « particulière ». Il y évoque les disparus d’Halloween 1924, mais aussi plusieurs vieux souvenirs que j’aurais préféré oublier. La disparition de Nigel est mentionnée et, si mon nom ne figure nulle part, il n’est pas possible qu’il ignore mon implication dans cette histoire.
Mais le plus intéressant parmi les articles de ce site à l’ergonomie douteuse est celui évoquant ces êtres à la lisière de notre perception, ces présences que l’on capte alors que nous plongeons dans le sommeil.
J'ai commencé par hausser les épaules en lisant ces histoires de Shadow Persons, mais quelque chose en moi était fasciné par cette histoire... et deux mots ont surgi, au détour d'une page web.
Hat Man.
Selon Devereaux, il s’agirait de celui qui mène les êtres d’ombre.
Ça ne pouvait pas être une coïncidence de plus. D'ailleurs, j'ai fini par ne plus croire aux coïncidences.
1924 : des enfants disparaissent à Whitby et certains témoignages évoquent ce Hat Man, le Monsieur Loyal du Midnight Parade, le cirque sorti de la nuit pour enlever douze enfants.
J'ai cherché sur le site web de ce Desvereaux une adresse pour le contacter. Ca a été facile.
Puis je suis resté devant l'écran, tournant et retournant les formules dans ma tête. J'ignorais encore à quel homme je pouvais avoir affaire, de l'autre côté de l'écran.
Il fallait que je le rencontre, sous prétexte d'un prochain roman à écrire.
Mais s'il était ne serait-ce qu'un peu curieux, il apprendrait vite où j'habitais et, aussi simple qu'un et un font deux, il comprendrait la raison de mon message.
Mon message était prêt et il me suffisait d'un clic pour l'envoyer.
Le soleil brillait, cet après-midi-là. Mon regard s'est porté vers la fenêtre et j'ai vu, au-dehors, Dorothy et Sondra qui discutaient dans le soleil d’hiver.
Alors, j'ai su pourquoi je faisais tout cela.
J'ai envoyé le message et ait refermé l'ordinateur, avant d'aller les rejoindre...
Whitby, 28 avril 2024
Je suis allé au Wabash Lodge. J’avais besoin de parler à Willie de ce que j’avais appris, en particulier au sujet de ce Hat Man.
Selon lui, le Hat Man et les Shadow People sont à l'œuvre à Whitby depuis bien longtemps - mais personne n'en a vraiment conscience, conformément au modus operandi de ce phénomène (c'est de cette façon que la population "nourrit" le No Man's Land sans le savoir). Rose et moi sommes normalement protégés de cette forme d'influence psychique grâce aux fameux dreamcatchers fabriqués par Raven et Willie... mais il ne fait aucun doute qu'un grand nombre d'habitants de Whitby souffre de "sleep paralysis". Le Dr Maxwell lui-même avait fait allusion à son "mauvais sommeil" et au fait qu'il avait beaucoup de patients avec ce même problème...
Willie est également assez fasciné par les révélations du manuscrit. Il ignorait tout de son ascendance mais va faire des recherches sur le métis Joseph Crane dans les documents tribaux dont il dispose
En revanche, il a été formel sur ces étranges frères Dupin évoqués dans les récits sur Abigail Twiceborn. Pour lui, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une déformation (intentionnelle ou non) de la formulation française d'origine : "les frères du pin" (brothers of the pine)... autrement dit les Shonokins !
Quand j’ai quitté Wabash Lodge, je me suis retourné une dernière fois pour saluer Willie.
J’ai cru apercevoir la silhouette de Raven derrière une fenêtre. Il faudra que nous parlions, tous deux, un jour.
Whitby, 15 mai 2024
Quatre heures du matin, je ne dors toujours pas.
Dans quelques heures, je vais quitter Whitby et n’y reviendrai que quand je serai prêt à affronter ce qui la menace.
Je suis seul dans cette maison.
Dans la nuit du vendredi 3 mai, Dorothy est morte dans mes bras.
Pour une fois, j’étais plongé dans un sommeil sans rêves quand un cri m’a réveillé. J’ai cru un instant que c’était Sondra, à mes côtés, mais elle aussi venait d’être tirée du sommeil par ce cri bref.
Il était 3h59 et j’ai bondi hors du lit, pour foncer vers le deuxième étage, que Dorothy occupe (occupait), et l’ai trouvée là, gisant en chemise de nuit, inconsciente. Je me suis penché sur elle, en bafouillant son nom. Ses yeux se sont vissés aux miens tandis qu’elle serrait mon poignet en murmurant quelque chose.
Et elle mourut. La vie s’est éteinte dans son regard, tandis que son visage crispé se relâchait d’un coup. J’ai alors commencé un massage cardiaque brouillon et inutile. Elle était partie.
Mais j’ai continué, m’acharnant contre tout espoir, tandis que j’entendais la voix de Sondra au loin, qui téléphonait, sans doute au docteur Maxwell ou à la police. Puis sa main s’est posée sur mon épaule et j’ai arrêté de lutter.
Sondra me parlait, mais je ne l’entendais pas. Les paroles prononcées quelques instants plus tôt par Dorothy, ses derniers mots, résonnaient en moi. J’étais sûr de ce que j’avais entendu.
- Mike… il y a un rat dans la maison.
Je me suis assis sur la dernière marche de l’escalier et j’ai pris la main de Dorothy, craignant le moment où elle commencerait à refroidir. Entre ses doigts, un bout de ficelle dépassait, que je n’ai pas pu ou pas su enlever.
Et puis Rose est arrivée, parce que Sondra avait eu la présence d’esprit de l’appeler. Elle a vite compris que la mort de Dorothy n’était pas naturelle et m’a montré la blessure à sa cheville.
Une morsure. J’ai alors répété à mi-voix les derniers mots de la vieille femme et Rose est allée inspecter sa chambre, là-haut. Il y avait des traces de griffure sur les plinthes.
Brown Jenkins.
Sans mot dire, nous pensions tous les deux à cette créature surgissant de l’ombre. Il était entré dans ma maison et avait tué Dorothy, je le savais.
Le Docteur Maxwell est arrivé et a confirmé son décès. Il m’a tendu un petit fagot de brindilles en me disant que Dorothy le serrait dans sa main.
Sondra et moi avons passé la matinée à régler les formalités liées au décès de Dorothy. Ce n’est qu’en fin de journée que j’ai pu aller au poste de police pour voir Rose. Nous devions parler de Brown Jenkins.
Celle-ci m’a dit, de but en blanc, que la mort de Dorothy était une conséquence de ce qu’elle avait fait, quelques jours plus tôt. J’ai écarquillé les yeux, puis ai écouté son histoire. J’ai appris à croire à l’improbable, voire à l’incroyable, depuis que je suis revenu à Whitby.
Rose avait enclenché une procédure à l’encontre des époux Henderson, suite à la disparition d’Elsie, malgré les réticences du shérif du Comté. Conformément à la procédure en de pareils cas (disparition d'enfants de moins de 13 ans), le FBI a dépéché deux de ses agents chez nous pour enquêter sur le cas d'Elsie Henderson. Ces derniers étaient pilotés par l’agent Winninger, qui avait contacté Rose et semblait tout connaître de l’histoire de Whitby, telle que nous la connaissions aussi. Proche de Fred Hurt, l’ancien town marshal, Winninger fait donc partie de ceux qui savent, pour le No Man’s Land.
Il disposait d’un dossier relatif aux disparitions de 1924, dont il avait fourni une copie à Rose. J’ouvris le document et sentis une fois de plus une sueur glacée couler entre mes omoplates. Parmi les noms des gosses évaporés cette année-là, plusieurs m’étaient familiers.
White
Cooper.
J’ai refermé le dossier comme si j’allais y découvrir mon propre nom. Rose a repris son récit.
Un certain Brook, féru d’ornithologie, avait voulu observer et enregistrer les oiseaux et s’était retrouvé à Madden’s Hollow, la clairière où Nigel avait disparu. Là, parmi le chant des engoulevents, son enregistrement avait capté autre chose. Rose me fit écouter les quelques minutes de fichier audio sur son téléphone.
Transcription de l’enregistrement audIo effectué par
JAMES BROOK le vendredi 22/03/2024 à Madden’s Hollow
(bruits confus, chants d’engoulevents, échos de voix)
Un chœur de voix discordante (trois ou quatre personnes dont un homme) répète ad lib les syllabes suivantes : MO-HA-RA-HA-NI, comme un mantra scandé.
Voix féminine n°1 – Dieu intérieur, (indistinct) notre appel…
(le chœur continue sa litanie)
Voix féminine n°1 – Dieu intérieur, reçois notre (indistinct)…
(confusion sonore ; bruits indistincts ; saturation)
Voix masculine (peu distincte) – Dieu tout puissant…
(voix féminine n°2, très jeune, pousse un hurlement de terreur abjecte)
Voix féminine n°1 (criant) – VIENS A NOUS !
Voix féminine n°2 (hurlant) – Maman…
Voix féminine n°1 (criant) – (indistinct) volonté soit faite ! Ton règne (indistinct)
(énorme distorsion de son puis arrêt brutal de l’enregistrement)
Rose s'était rendue à la clairière où l’odeur de résine était omniprésente et, dans les racines d’un vieil arbre, avait distingué ce qui ressemblait au corps recroquevillé d'un enfant, comme enraciné sous l'arbre.
Le lendemain, elle était retournée là-bas et avait mis le feu à la chose. Celle-ci s'était alors éveillée et déracinée, avant de se consumer et de tomber en cendres. Une sorte d'embryon shonokin. "Abel", "l'enfant parfait" promis aux Henderson en échange de leur propre fille. Je sais que son corps à elle ne sera jamais retrouvé.
Je lui ai livré le résultat des recherches que j’avais entrepris de mon côté : les Shadow People et le Hat Man, leur guide, les informations détenues par Devereaux sur son site, tout.
Quand elle m’entendit évoquer le Hat Man et les troubles du sommeil provoqués par les Shadow People, Rose m’expliqua que, la nuit dernière, elle s’était réveillée en sursaut et qu’elle avait senti une présence dans l’ombre. Molly, sa chienne, avait hurlé à la mort, aux alentours de quatre heures du matin.
Willie. Je n’avais pas encore appelé mon vieil ami pour l’informer de la mort de Dorothy. Il fallait qu’il sache tout ce qui se passait ici. Il était persuadé que les Shonokins avaient renoncé, depuis que nous avions éliminé plusieurs d’entre eux, mais il était inquiet. Raven viendrait bientôt pour nous aider. Je suis rentré chez moi, pour retrouver Sondra.
En fin de soirée, Raven est arrivée chez Rose et a vite identifié le fagot trouvé dans les mains de Dorothy. Il s’agissait d’un twanas, popularisé par le film Blair Witch. C’était en quelque sorte un anti-talisman, destiné à faciliter le passage de Brown Jenkins dans notre dimension.
Raven a voulu inspecter la chambre de Rose et y a trouvé, sous le lit, un autre de ces twanas, accompagné de minuscules empreintes de mains. IL était venu ici aussi.
Elles brûlèrent le twanas et Raven pratiqua un des rituels que lui avait enseigné Willie, en traçant sur les traces des spirales, avec le sang de Rose. Brown Jenkins était venu ici et allait revenir, si l’on ne faisait rien. Son pouvoir se renforcerait et bientôt, il pourrait contrôler Rose. Mais qui l’avait envoyé ? Selon Raven, il y avait un sorcier ou une sorcière à Whitby et nous étions sur sa route. Un nom s’imposa à elles deux : Nancy Harper. Rose prit son téléphone et m’appela.
Nous étions directement visés. En rentrant, j’ai convaincu Sondra et nous sommes allés dormir chez elle pour quelques jours. J’avais prétexté le besoin de quitter le lieu où Dorothy était morte, mais elle comprit vite que ma motivation était toute autre. C’est alors que j’ai choisi de tout lui raconter : ce qui rôdait dans l’ombre, à Whitby, ce que nous affrontions, Rose et moi, et ce à quoi nous avions fait face, quand nous étions gosses et qu’elle avait oublié.
J’ai vu la peur dans ses yeux. La peur que je perde la raison, comme autrefois, quand notre ami Nigel avait disparu et que j’avais fini dans une clinique psychiatrique.
J’ai voulu prendre Sondra dans mes bras mais, pour la première fois, elle a évité mon étreinte. C’est alors que j’ai choisi de lui ouvrir mon journal, ce journal. Tout était là, elle n’avait qu’à lire. J’ai décroché le téléphone quand Rose m’a appelé, et suis parti.
En la quittant à cet instant, j’ignorais si Sondra lirait ce que j’avais écrit, ces derniers mois.
Chez Rose, j’ai été mis au courant de la découverte faite par Raven. Brown Jenkins servait d’intermédiaire à Nancy Harper et lui avait sans doute appris à utiliser quelque pouvoir. Il nous fallait la neutraliser et, avant cela, à deviner où allait surgir Brown Jenkins.
Sondra.
Rose et moi avons sauté dans la voiture et sommes arrivés chez elle, tremblant qu’il ne soit trop tard.
Elle était assise, l’ordinateur portable sur les genoux, les yeux rougis. En me voyant entrer, elle eut un regard plein de pitié et de désespoir.
Evidemment, j’aurais dû m’y attendre. N’importe quel être humain sensé, en lisant ce journal, y verrait au mieux une fiction fantastique assez peu crédible, au pire le délire d’un psychotique.
Elle se tourna vers moi et commença à bredouiller qu’il me fallait des soins, que c’était une rechute, quand deux coups de feu retentirent.
Rose s’était rendue dans la chambre et, là, avait découvert, au fond du placard, quelque chose.
Sondra grimpa l’escalier et fit face à Rose, criant de colère jusqu’à ce qu'elle voie la carcasse sanguinolente. Découvrant le faciès et les mains presque humaines, le corps d’un énorme rat, Sondra resta un instant tétanisée, tandis que nous mettions le cadavre dans une boîte.
Puis la raison fit son retour dans l’esprit de celle que j’aime. Ça n’était qu’un gros rat, rien d’autre, et nous étions tous deux en proie à quelque folie qui nous dévorait l’esprit.
Rose leva la main et commença à tout expliquer à Sondra, jusqu’à lui faire écouter l’enregistrement de Brook.
C’est à ce moment que la boîte s’est mise à bouger. A l’intérieur, le cadavre de Brown Jenkins vibrait. Il avait réparé son corps et commençait à se métamorphoser, marmonnant des mots que nous ne comprenions pas. Nous avons emmené la boîte dans la salle de bains et jeté la chose dans la baignoire. J’ai trouvé une bouteille de térébenthine et en ai versé la moitié sur la créature avant que Rose ne craque une allumette. Poussant des hurlements, la chose s’est tordue puis a fini par se taire, dévorée par les flammes.
Il ne restait presque rien de la créature, à part quelques morceaux charbonneux.
C’en fut trop pour Sondra, qui s’écroula, en larmes, dans mes bras.
Rose a ramassé les restes de la chose et est repartie. Raven et elle allaient pratiquer un rituel pour faire définitivement disparaître Brown Jenkins.
Sondra et moi sommes retournés dormir à la maison. Elle a sombré dans un sommeil lourd, sans doute sans rêves, que je me suis pris à lui envier.
J’ai rejoint Rose et Raven au poste de police, à l’aube. Je n’avais pas fermé l’œil depuis plus de trente heures. A Whitby, le sommeil engendre des monstres.
Raven avait parlé à Willie : tous deux étaient parvenus à la même conclusion, celle que Rose et moi connaissions déjà, sans l’affronter. On ne pouvait combattre le feu que par le feu. La bataille contre la sorcière de Whitby restait à mener. Et j’étais celui qui devait suivre cette voie.
Les funérailles de Dorothy ont eu lieu le mardi suivant. Il y avait une centaine de personnes autour de la tombe. J’ai aperçu Luke, Lex et Raven, les Wilson et les Langman, mais aussi Veronica Wood et Wilma Wright, Cassandra Kubasik, Jessie, Norman et Marvin, les jeunes résidents d’Amblin House.
Sondra m’a étreint une dernière fois près de la tombe de Dorothy. J’ai lu dans son regard un immense chagrin mais aussi quelque chose que je n’avais jamais vu jusqu’à ces derniers jours : de la peur. Quand tout sera fini, sera-t-elle à mes côtés ?
La maison est vide.
Malgré le soleil de printemps, j’ai l’impression qu’il y fait froid comme dans une tombe. Sondra est retournée chez elle et Dorothy repose maintenant sous terre, aux côtés de mon père.
Dans la semaine qui a suivi l’inhumation, sans doute sur les conseils de Nancy Harper, Allie Henderson a avoué le meurtre de sa fille. Elle a reconnu avoir perdu la raison et jeté son corps dans la Wabash. Rose Wu, en regardant les plongeurs explorer le fond de la rivière, a haussé les épaules : ils ne trouveront rien, la petite Elsie, ou ce qui reste d’elle, gît quelque part dans la forêt.
La maison est vide.
J’ai mis quelques affaires dans un sac de voyage et me prépare à partir. Je vais rejoindre Willie et Raven au Wabash Lodge. Là, mon vieil ami m’apprendra tout ce qu’il sait, afin que je puisse défendre cette ville et ceux que j’aime.
Quand je reviendrai, je pourrai faire face aux cauchemars qui prennent vie à Whitby.