Tout de suite la suite, et salut @hannon ! Ravi de te voir ici ! Fin de la séance d'hier, donc, à laquelle je tente de rendre honneur, mais ce n'est pas facile. Question d'ambiance. J'espère qu'Islayre et mes camarades me pardonneront les nombreux trous, mais c'est déjà bien trop long comme ça, même si ça s'écrit tout seul.
Le guide et le reflet
Une nuit passa à la belle étoile, puis une deuxième, et ce n'est qu'au crépuscule du troisième jour que le fort apparut. Depuis quelques heures, les oiseaux faisaient silence. La terre s'était tue, le vent lui-même retenait son souffle. Devant eux, les hauts murs du fort noirs de suie formaient une tache d'encre sur un fond de montagne. Âme qui vive. Et quand Jeanne héla la garde, au pied des contreforts, c'est la mort qui apparut. Enveloppé d'une armure de l'Empire défunt, sa lanterne incapable de percer les ténèbres au-delà du seuil, cet homme, ce cadavre arborait une grimace à leur glacer les sangs. Jeanne s'avança à sa rencontre. "Nous demandons l'hospitalité du fort et souhaiterions nous entretenir avec le roi Pénombre. Nous lui apportons des nouvelles de Neuvaine."
Le légionnaire, surpris par tant de politesse, les invita à le suivre à l'intérieur. Dans la cour semblait rugir encore l'incendie séculaire qui avait provoqué la chute de ce bastion du serpent, les pierres rougeoyantes, les poutres roussies, l'atmosphère surtout, saturée de l'odeur des chairs rôties par les flammes. Jeanne demanda du fourrage et de l'eau pour Fagot et Rossi dont elle flattait l'encolure, une requête accueillie par un rire d'outre-tombe. "Je vous conduis au Calciné. Ne le faites pas attendre. C'est lui qui décidera. Soit vous descendrez jusqu'au roi. Soit vous mourrez."
Sans doute était-il naïf, de la part de Jeanne, de s'attendre à ce que le roi Pénombre les accueille à bras ouverts, se dit-elle devant le visage coupé en deux du Calciné, moitié cadavre, moitié charbon ardent. "Que voulez-vous au roi Pénombre ?
Édouain avança d'un pas. Le Calciné observait ses armes.
— Le Naga de Neuvaine est mort. C'est lui qui nous envoie. Il soupçonnait une machination qui raviverait les tensions entre notre monde et l'En-bas.
— Allons. Le Naga ? Une machinaton ? Et d'ou viendrait-elle ?
— Des landes Sorcières."
Le Calciné ne répondit pas. Il avançait vers Édouain, d'un pas lent comme la mort.
— Quel est ton nom ?
— Sire Édouain de Vilemore, sénéchal de Neuvaine.
— Vilemore ? J'ai connu un Vilemore. Il s'est battu à mes côtés.
Avant qu'Édouain ne réponde, il posa sa main sur son épaule. Jeanne lut immédiatement sur son visage l'indicible souffrance qui traversait son compagnon. Mais Édouain n'émit pas le moindre murmure.
— Lâchez-le ! tenta-t-elle. Gardez-moi ici si vous le souhaitez, mais menez mes camarades au roi Pénombre.
Le Calciné étira ses doigts et retira sa main, d'un geste plus lent encore que son pas. Sous sa paume, les mailles de la chemise d'Édouain étaient incandescentes.
— Ce ne sera pas nécessaire. Allons.
Le Calciné les mena au travers du fort jusqu'au vieux temple du Serpent, où un escalier descendait vers l'En-Bas. "Descendez, puis continuez. Vous ne pourrez pas vous trompez, croyez-moi, même si vous pourriez vous perdre." En bas des marches, l'idée même de lumière était devenue lointaine. La faible lueur de leurs lanternes peinait à éclairer leurs pieds. Une femme les attendait, un corps de liane, le visage voilé, grande autant que la nuée de ses serviteurs difformes était nombreuse. Elle leur servirait de guide à partir de ce point, ce qui n'avait pas l'heur de la réjouir. Le guide : le Naga de Neuvaine les avait prévenus, ils le rencontreraient. Était-ce cette créature ? Et le Reflet, qu'il avait évoqué aussi, qui était-ce ?
Le trajet fut long, éprouvant et sans repos. Bran, dont les talents de fourrageur avaient fait des merveilles dans la lande, parvint à peine à glaner quelques gouttes d'une humidité fétide et collante sur les parois cyclopéennes de ces galeries sans terme, dont nul mortel n'aurait su dire l'origine. En guise de nourriture, quelques scolopendres gras et des champignons aigres qui leur tordait les boyaux. Leurs rations de Neuvaine s'amenuisaient, comme l'espoir d'un confortable retour. Mais il n'était pas temps de penser à revenir. Ils marchèrent.
Au bout des galeries s'ouvraient l'enceinte d'une caverne immense, au fond de laquelle le château Locabre avait hissé ses tours d'obsidienne. Sa silhouette se découpait nette dans la clarté luciférine des innombrables mycettes collées au paroi, tel un néant avide ôté à a matière même d'un foyer qui s'éteint. Le peu de souffle qui restait à Jeanne s'épuisa dans sa gorge. Cet endroit n'avait jamais connu la lumière du Tribunal, pourtant l'En-Bas brillait de mille beautés démoniaques. Tenant Bran à main gauche, Édouain par le bras, elle franchit le seuil de ce palais de Pénombre.
Le Roi les attendait sur son trône colossal, géant hideux comme un troll, bancroche et plus noueux que les sarments d'un roncier diluvien. Son visage était d'une si répugnante laideur que ses propres yeux semblaient vouloir en déguerpir. De sa voix cave, il exigea que se présentent les trois audacieux qui se tenaient devant lui. Quand vint le tour de Jeanne, il pointa d'un ongle infect la balance à son cou. "Ce symbole... Tu es celle qu'on prétend l'envoyée de ce faux Dieu, n'est-ce pas ?
— Les rumeurs empoisonnent même l'En-Bas, Sire. Je ne suis pas l'envoyée du Tribunal, je suis son humble servante.
Le rire qui l'agita aurait retourné l'estomac d'un porc.
— Sa servante ! Formidable ! Eh bien, servons ! Le conseil allait siéger, justement."
Hissant sa carcasse, il saisit le marteau titanesque posé à ses côtés et le traîna par le manche jusqu'à une porte monumentale, au fond du grand hall. Seul un être de sa stature avait assez de force pour en manier les battants, qui s'ouvrirent sur une table ronde taillée dans la pierre et ciselée d'arabesques impies. La Guide s'installa la première, suivie d'un Elfe gris d'une élégance perverse. Quand Jeanne, Édouain et Bran furent assis à leur tour, il ne restait qu'une place. Comme sorti du mur, un Naga brun et vert y rampa bientôt, avant de leur présenter toutes les dents d'un sourire diabolique. Le Reflet était là.