LE DIABLE EST AU PIANO
Léo Henry
J’aime beaucoup l’idée que, lorsque j’ai acheté ou emprunté légalement une œuvre, l’on commence par m’expliquer ce qui pourrait m’arriver si jamais j’utilisais un support illicite ou à quel point ce que j’ai entre les mains est fantastique, extraordinaire, merveilleux, que l’éditeur (et l’auteur). La seule exception admise à cette règle est celle de la présentation par Jean-Pierre Dionnet des films asiatiques qu’il a sélectionné pour une sortie française. Malheureusement, tous les préfaceurs ne sont pas des JP et celle qui a écrit l’introduction à ce livre démontre parfaitement le talent si particulier de JP.
Donc, après quelques pages qui semblent avoir nécessité plus de cirage que d’encre, on peut enfin commencer la lecture des nouvelles, alerté par le panégyrique introductif sur le risque de se retrouver avec un livre qui ne va pas me plaire parce que je n’ai tout simplement pas la culture ou le niveau pour le lire.
Et, immédiatement, on plonge dans le cœur du problème, avec une nouvelle qui met en scène Corto Maltese et Blaise Cendrars qui mènent, au Brésil, une enquête sur des meurtres dont Blaise Cendrars puis Corto Maltese seront soupçonnés. Passons outre le style, que j’ai trouvé insupportable, pour nous intéresser au fond : tout l’intérêt réside dans la rencontre de ces deux personnages et voilà. C’est tout. Outre le fait que, pour le lire, il faut être hispanophone et lusitanophone, que le texte manque d’une édition sérieuse (le genre lexical change parfois de façon abrupte, sans raison), c’est fouillis et difficile à lire. Je me suis dit que si les autres nouvelles étaient écrites de la même façon, je n’irai pas plus loin.
Heureusement, la deuxième nouvelle est écrite de façon accessible. Là encore, on se retrouve avec une rencontre entre deux personnages, Poe et Pessoa, mais de façon indirecte : Alastair Crowley est le lien entre les deux. Ce dernier voyage dans le passé pour remettre à Poe un poème que Pessoa a traduit (de Poe, visiblement), estimant que le poème en question est donc, en réalité, écrit par Pessoa. Ok, super.
Troisième nouvelle : un gamin entre dans une zone interdite du domaine familial et trouve une citerne d’eau abandonnée dans un espace qui, pour ses frères & sœurs et lui, est un espace appartenant aux fées, où il rencontre un garçon de son âge aux cheveux blonds dans le reflet de l’eau croupie. Il est un peu lui et ne l’est pas et devient le compagnon du jeune garçon qui, par la suite, deviendra pilote et écrivain. Ah. Ok. Quel est l’intérêt de la construction d’une rencontre et d’un lien entre Saint Exupéry et son Petit prince ? Mais pourquoi persévère-je ?
Je me demande si je fais bien de m’acharner à essayer de lire ce livre qui n’est pas pour moi et qui, de plus en plus, ressemble au vêtement luxueux du roi nu. Sur internet, je trouve une critique qui partage mon désarroi sur les premières nouvelles mais m’invite à continuer en disant que le premier tiers n’est pas très bon mais que la suite vaut vraiment le détour.
Alors, je m’acharne et entame ma quatrième nouvelle, dans laquelle Indiana Jones croise Orwell pendant la guerre d’Espagne, à la recherche d’une relique qui ne doit pas tomber dans les mains des nazis. Je me dis que cela ne peut pas être pire qu’un film écrit par Spielberg depuis The Temple of Doom et je me lance dans la lecture… Chaque page est un chemin de croix sur le sentier sinueux des expressions toutes faites et des facilités scénaristiques. Le style est lisible, mais je passe mon temps à me demander pourquoi je persévère. Je vois bien les clins d’œil aussi discrets qu’un morceau de Slayer aux fans des films, je tique sur la vision très basique tant d’Orwell que d’Indiana Jones le tueur de Nazis et je finis par jeter l’éponge quand on arrive aux touchantes retrouvailles de ce beau monde avec Robert Capa, qui rejoint le groupe et l’évocation de la destruction de Garnica.
J’ai lâchement abandonné.
Puis, pris de remord, notamment parce que j’ai envie d’aimer ce que l’auteur écrit, je me suis poussé pour lire, hier, la nouvelle qui a gagné un prix : les trois livres qu’Absalom Nathan n’écrira jamais, me disant que si cette nouvelle est aussi bonne qu’annoncée, alors je pourrais persévérer dans ma lecture. Là, enfin, on ne vient pas croiser une énième figure connue pour un jeu qui me dépasse. On a un bout d’univers au démarrage (une société qui mise sur l’art comme moyen économique et diplomatique), une société qui enquête sur les personnes qui sont mortes ou quasi mortes avant d’avoir réalisé les œuvres qu’ils pouvaient réaliser, un enquêteur qui part dans la psyché d’un presque mort pour découvrir les œuvres cachées. Comme, cela, au départ, on pourrait légitimement se croire dans une nouvelle à la Phillip K Dick : l’entrée dans la psyché, le mourant qui est un teepee… Puis, on se retrouve avec trois nouvelles à l’intérieur : l’histoire de l’homme qui réécrit des livres qu’il a sauvé d’un état totalitaire, l’auteur qui tue des gens pour pouvoir écrire sur eux après avoir mangé leur cerveau et un troisième qui m’a complètement échappé moins de 24 heures après sa lecture. Trois nouvelles téléphonées, prévisibles, sans originalité particulière et une fin où l’on revient dans le monde de départ pour, finalement, bien peu de chose. Un Philip K Dick qui aurait abandonné après l’idée de départ, une nouvelle à la Pierre Bordage qui voudrait faire du Philip K. Dick.
J’ai fini par reposer ce livre, que je vais aller enterrer dans le reste de ma bibliothèque, en attendant que quelqu’un y trouve un plaisir de lecture que je n’ai pas trouvé. Objectivement, je ne trouve pas ce livre intéressant ni bon. Subjectivement, je me dis que je ne suis pas le public visé et que ce livre a eu un certain succès, donc qu’il a plu. C’est bien. C’est mérité pour Léo Henry. Mais cela me convainc un peu plus encore sur le fait que la SF/Fantasy française n’est pas pour moi. Je trouve les auteurs soit trop précieux, soit trop insignifiants dans leurs livres. Au final, le meilleur que l’on puisse tirer est j’ai passé un bon moment, malgré les défauts. Il n’y a que peu de livres qui échappent à cette critique : Gagner la guerre, les Contes des trois cités, les Guerriers du silence, tous les trois malgré leurs défauts (surtout pour le dernier), Un si long voyage, jusqu’à ce moment et Wastburg.
Je vais donc en conclure que je ne suis pas un lecteur de SFFF française et passer à autre chose. En attendant de retomber, un jour, dans ma bibliothèque, sur Sovok, que j’ai acheté il y a longtemps mais que je n’ai toujours pas lu…